J’ai de la chance au Lucernaire.

11208629_1604454769838319_3437872907815526988_nAutrice : Laurence Masliah accompagnée de Marina Tomé 
Mise en scène : Patrick Haggiag
Avec : Laurence Masliah

En 1942, la zone libre est envahie. Il y a la guerre. Dans ce lieu extraordinaire que fut cette maison de Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, une cinquantaine d’enfants juifs partis en vacances avec les éclaireurs israélites de France se retrouvent coincés, cachés, travestis en non-Juif. Germaine a 19 ans lorsqu’ elle arrive à Moissac. Il faudra bientôt disperser les enfants parce que la zone libre est envahie par les Allemands. La toute jeune femme devient alors agent de liaison. Cette pièce rend hommage de cette femme, devenue grand mère sous le petit nom de mamie coud.  

Ce spectacle est un bijou littéraire et théâtral.

Le talent d’une  comédienne se vérifie dans sa capacité à nous empoigner et à nous faire partager son texte et son poids d’émotions. Il se mesure aussi à quelques virtuosités d’acteur qui signe une grande interprète. Par exemple, on demandera à un grand comédien de jouer avec le quatrième mur sans nous en déposséder, on lui demandera de jouer dos au public, ou de jouer bord de scène. Laurence Masliah fait tout cela dès les premières minutes de son spectacle. Elle rentre sur scène pour d’abord serrer la main de l’ouvreuse. Puis, tout à son ouvrage de couturière, elle se penche dans un monologue introspectif, nous donnant le dos. Elle choisi ensuite un spectateur dans le public, le fait monter sur scène, lui recoud un bouton, sans que la magie du théâtre ne chute. Bien au contraire.

Laurence Masliah adore le théâtre, ses mots, ses textes. Elle clamera quelques alexandrins du Misanthrope[1]. Elle a une passion des mots, une vénération pour André Dussolier que l’on entend en off dans le Misanthrope[2]. Et son théâtre nous fait aimer le théâtre encore un peu plus.

La force de la pièce est aussi et surtout dans la proposition que défend Laurence Masliah de son personnage. Cette femme qui a appris la religion à l’envers, qui a vécu le monde des enfants cachés, qui a changé de patronyme pour rester juif à l’intérieur, cet enfant qui a vécu dans ce monde où les mots disent le contraire de la réalité pour l’escamoter, deviendra une adulte gardienne passionnée des mots et de la syntaxe, une vigile de la signification précise des substantifs et des expressions.

Qui est plus experte des mots que celle qui a du transgresser le verbe pour sauver sa vie ?

Le deuxième génie de l’interprétation est le choix d’un biais bienveillant, mais autoritaire. Germaine est une femme autoritaire par contrecoup,  dans une intrication équilibrée d’une identification à l’agresseur et d’un amor fati optimiste et de résilience. Cette autorité naturelle du personnage dévoile de loin et les rigueurs endurées et le volontarisme de s’en fiche.

Laurence Masliah sera cet été avec sa pièce en Avignon pour le OFF.

(©DRS)

[1] Sous toute réserve, sauf erreur.

[2] Id.

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Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Et ce passage magistral où elle nous apprend qu’elle est Juive « à l’envers » … Par tout ce qu’elle mange, fait qu’il ne faut pas faire, dans la tradition juive.

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