La Vie de Galilée de Bertolt Brecht ,oeuvre profonde et épaisse, est montée entre pénombre et clarté dans la grande Salle de la Scala Paris par Claudia Stavisky. Philippe Torreton se tient au diapason du texte : Géant.
En Italie, au début du XVIIe siècle, Galilée braque un télescope vers les astres, déplace la terre, abolit le ciel, cherche et trouve les preuves qui réduisent à néant les sphères de cristal où Aristote et Ptolémée avaient enfermé le monde. Puisque il fait vaciller l’ordre de l’Église, l’Inquisition lui fera abjurer ses théories. Le texte furieusement contemporain articule le débat passionnant qui oppose la pensée à la doxa, la science à la religion, l’appétit de savoir à celui de contrôler les âmes et les esprits. Pour Brecht, la vie de Galilée se veut une parabole de l’Allemagne nazie qui imposait sa vérité officielle et faisait plier ses contradicteurs, elle est aussi la chronique amère d’un effondrement. Aujourd’hui après la catastrophe, après l’effondrement de l’Europe puis du nazisme, puis du communisme même que Brecht voulait incarner et avec l’émergence de l’islamisme, nouveau fascisme, le texte de Brecht dans la bouche de Torreton empile les strates de l’histoire de ces lumières et obscurantismes. Les manteaux des ecclésiastiques du 16e invoquent ceux de toutes les polices politiques, de celles des mœurs depuis l’inquisition. Et magnifie la dissidence en rappelant son indispensable vertu. La pièce qui est aussi une biographie du génie florentin sous forme d’une leçon d’histoire de ses inventions nous place devant l’horizon de la révolution copernicienne. C’est épatant.
Philippe Torreton incarne un Galilée passionné, malicieux terrien téméraire, fragile aussi, un Galilée profondément humain. Le comédien défend le texte avec une force qui éblouie. L’ancien sociétaire de la Comédie Française offre à son personnage de coloniser tout l’espace. Il capte tout au long de la pièce nos attentions aidé par un décor magnifique qui signe l’intemporalité et une création lumière qui restitue l’équivoque de la clarté contrariée des découvertes de Galilée. L’expérience du spectateur est l’émerveillement. Les comédiens qui entourent Torreton défendent leur proposition avec brio, mention spéciale à la jeune Marie Torreton qui impressionne.
Riche de cet équipage, le texte de Brecht stimule notre envie de penser, en nous s’inscrivent pour longtemps les mots de l’auteur dramatique allemand du début du 20e siècle: Celui qui ne connaît pas la vérité, celui-là n’est qu’un imbécile. Mais celui qui la connaît et la qualifie de mensonge, celui-là est un criminel . Malheur aux peuples qui ont besoin de héros. Malheur aux peuples sans héros.
La Vie de Galilée
texte Bertolt Brecht
mise en scène Claudia Stavisky
avec Philippe Torreton, Gabin Bastard, Frédéric Borie, Alexandre Carrière, Maxime Coggio, Guy-Pierre Couleau, Matthias Distefano, Nanou Garcia, Michel Hermon, Benjamin Jungers, Marie Torreton
Durée : 2h30
Crédit Photos ©Simon Gosselin