C’est au lycée Louis-le-Grand, fréquenté avant elle dans les années 1960 par Patrice Chéreau et Jean-Pierre vincent, que Louise Vignaud commence le théâtre. Comme eux, elle rejoint le club théâtre où elle monte une pièce par an, dont notamment Lorenzaccio d’Alfred de Musset réunissant une vingtaine de camarades. Étudiante à l’École normale supérieure de la rue d’ulm, elle rédige sous la direction de Georges Banu un mémoire intitulé Roger Planchon et la lecture des classiques. Un parcours et ses étapes. En parallèle, elle travaille à l’Institut national de l’audiovisuel sur la collection « Mémoires du théâtre » et suit les cours de jeu de l’École de Thibault de Montalembert avant d’intégrer l’Ensatt en 2011. Diplômée de l’École normale supérieure de la rue d’ulm en 2014, elle collabore en tant qu’assistante à la mise en scène avec Christian Schiaretti, Michel Raskine, Claudia Stavisky, Richard Brunel et Michael Delaunoy. La même année, elle crée la Compagnie la Résolue avec laquelle elle montera Calderón de Pier Paolo Pasolini, La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, Ton tendre silence me violente plus que tout de Joséphine Chaffin, Tigre fantôme de Romain Nicolas, Tailleur pour dames de Georges Feydeau, Vadim à la dérive d’Adrien Cornaggia, et, en janvier 2018, Le Misanthrope de Molière au Théâtre National Populaire à Villeurbanne. Depuis 2017, elle participe au cercle de formation et de transmission du TNP et dirige le Théâtre des Clochards célestes à Lyon. En 2018, elle monte Rebibbia, récit du séjour en prison que fit la romancière Goliarda Sapienza à Rebibbia. En 2019, Louise Vignaud crée Agatha de Marguerite Duras puis Le Quai de Ouistreham adapté du roman de Florence Aubenas.
Nous devions nous retrouver pour un bord de scène L’autre Scène (.org) en Mai autour de Rebibbia. A l’annulation Louise Vignaud écrivait : Nous étions si heureux. Les événements actuels nous obligent à annuler pour cette fois. Pourtant, une histoire de liberté trouvée dans l’enfermement, c’était plutôt à propos, n’est-ce pas ? Alors on prend rendez-vous. On ne lâchera rien. Et on se dit à bientôt !
Et voici ce que j’écrivais en 2018 sur le Misanthrope :
Alceste hait l’humanité; il en dénonce l’hypocrisie. Mais Alceste aime Célimène. Il a en cela pour concurrent Oronte. À la fin de péripéties et de querelles, Alceste et Oronte demanderont à Célimène de choisir et découvriront que celle-ci joue avec le cœur de ses prétendus. Oronte décidera de partir tandis que resté seul avec elle, Alceste lui propose de l’épouser à condition qu’ils quittent ensemble la société des hommes qu’il ne supporte plus. Elle lui répond d’un rire moqueur et clair.
Tout Molière.
La mise en scène de Louise Vignaud est innovante. L’intrigue démarre pleins feux. Le plateau meublé simplement d’un large podium et de quelques marches au milieu de quatre gradins est transformé en agora où le procès de Alceste le rêveur trangressif et de Céliméne la licencieuse se tiendront. Où également Alceste affrontera Oronte, où Alceste affrontera Céliméne. A la fin du premier acte, l’ambiance contemporaine est soutenue par une musique rock qui envahit l’espace, puis un lustre descend du plafond. Aux quatre coins des gradins, un siège est laissé vacant que les comédiens viennent parfois utiliser. Arsinoé est habillée en sorcière noire. Au troisième acte, Céliméne descend des cintres assise sur un trône de princesse. Les costumes magnifiques sont d’époques sans en signer la date. On l’aura compris : la mise en scène de Vignaud est courageuse et moderne. Cependant ni vidéo ni effets spéciaux, la scénographie reste dépouillée. La proposition ne se songe ni en un Misanthrope à la Tchekhov ni en un Alceste à Bicyclette. Louise Vignault aime le texte de Molière et l’honore avec respect. Sa pièce est aussi contemporaine que fidèle à l’esprit et à la plume de Molière et au ravissement de ses alexandrins. Elle y colle et en cela est un grand Misanthrope.
Une magnifique troupe.
Louise Vignaud a emmené avec elle une troupe admirable. Olivier Borle, Oronte résiste avec talent à la performance de l’Alceste, Joseph Bourillon est un joyeux Dubois, Pauline Coffre une (peut-être trop jolie pour le rôle!) Arsinoé fragile et attachante, Charlotte Fermand une parfaite Eliante en devenir, Clément Morinière un volontaire Philinte, Sébastien Mortamet et Ewen Crovella incarnent deux splendides marquis; chacun est au rendez-vous de son rôle exigeant. Sophie Engel adhère à son personnage complexe pluriel et évoluant. Elle est une Célimène exceptionnelle. Et puis il y a l’expérience Mickaël Pinelli.
Tout Alceste.
La pièce porte dans sa version manuscrite le sous-titre l’Atrabilaire amoureux, car elle parle de la mélancolie. Alceste est un mélancolique dans sa pente agressive et opiniâtre. De tout son coeur et de tout son corps il désire et ordonne d’avoir raison; il besognera à le prouver au monde quitte à tordre la réalité, quitte à se mettre en danger, quitte aussi à provoquer ce qu’il veut voir advenir. Aussi, il humiliera Oronte pour finir humilié lui-même et ainsi rendre raison à sa misanthropie. Alceste gesticule entreprend court disparaît puis revient; le personnage de Molière est un homme qui veut et qui acte, mais qui rate toujours. Louise Vignaud et le magnifique Mickael Pinelli attrapent le personnage dans ce ratage là. C’est brillant. Mickael Pinelli incarne un Alceste dans sa globalité et dans ses changements avec une grande finesse. Lentement son Alceste renonce au faux semblant et s’enfonce dans une rage mélancolique. Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur, On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur. Mickael Pinelli incarne tout autant et successivement la joie enfantine de celui qui croit influer sur les événements et la colère de moins en moins polie de celui qui méprise les autres avant ou aprés de se mépriser lui-même. Il est l’expérience de la pièce.
Un grand Alceste pour un grand Misanthrope.
Le Misanthrope nous renvoie à un monde du paraître, où le regardé prévaut au dit, où la rhétorique embue le contenu. Autre point de vue, le malheureux Alceste est obsédé par le regard de l’autre. S’il veut se retirer du monde, il le souhaite pour fuir le regard menaçant des autres, insincères. La mise en scène en quadrifrontal illustre ce monde hypocrite en même temps qu’elle symbolise, parceque de chaque coté nous observons, ce qui encombre la pensée de Alceste, de celui qui ne parvient jamais longtemps à rester absent ou caché. Dans une figure scénographique à double face, le public devient, c’est le génie de Louise Vignaud, motif de mise en scène. Ainsi, durant 1h50 bien vite passé, les alexandrins nous traversent dans un beau geste de théâtre.
Crédir Photos © Lorenzo Chiandotto
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