La putain respectueuse de Jean-Paul Sartre à La folie théâtre

Laetitia Lebacq nous a invité à découvrir sa nouvelle création. La saison de la Folie Théâtre démarre grâce à elle avec un spectacle de qualité.

Nous avons assisté à une merveilleuse adaptation du roman de Jean-Paul Sartre par la compagnie Strapathella. La compagnie, fondée en 2004, forte de plus de trente créations, décroche la timbale de la première critique enthousiaste de l’après-Covid avec La Putain respectueuse de Jean Paul Sartre. Le roman est librement inspiré d’un fait divers advenu dans le sud des États-Unis en 1931. Dans le train qui la conduit vers une petite ville de province, Lizzie, une jeune prostituée débarquant de New York, se retrouve témoin du meurtre d’un homme noir par un notable blanc.  Commence alors pour elle une journée qui changera le cours de son existence.  L’histoire est un drame social où chacun, esclave de sa propre détresse, rêve d’un moment de bonheur même fugace. 

Une lecture moderne

Lætitia Lebacq est déjà connue des lecteurs de TOUTELACULTURE  ; elle fut la créatrice et l’interprète de l’admirable adaptation de Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig. Cette fois encore, elle investit le rôle d’une femme équivoque et lumineuse.  Elle choisit de centrer sa lecture de l’oeuvre autour du destin amer, mais optimiste, de la jeune prostituée.  Jeune femme sexy, un peu cruche toutefois intègre, la belle Lizzie se retrouve dans la tourmente d’une manipulation politique orchestrée par le sénateur de la petite ville dans laquelle elle vient d’arriver débarquer. La prostituée en marge de la société va découvrir la collusion des notables et leur bien commun: la lâcheté. Au milieu de séductions, de manipulations, de menaces physiques et de pressions psychologiques, elle découvrira de quoi le monde est fait et saura, les yeux grands ouverts, gagner la partie. 

Une histoire de femme du 21e siècle  

Jean-Paul Sartre, intellectuel engagé, écrit “La putain respectueuse” alors qu’il est correspondant aux États-Unis pour le Figaro. L’adaptation de Lebacq devait éviter deux écueils. L’anti-américanisme maladif de Sartre pourvoie à cette histoire les plus grossiers poncifs.  De plus, le futur soixante-huitard, ajoutant à cela la coquetterie d’un auteur qui veut créer l’évènement, magnifie la prostitution croyant alors qu’une femme est libre  dès lors qu’elle dispose de son corps.  

Les temps ont changé, et il aurait été réducteur de rentrer dans les pas d’un Sartre communiste léniniste. Et il fallait sauver Lizzie. Lætitia Lebacq en tant que femme de théâtre échappe aux anachronismes. Elle recentre l’intrigue sur Lizzie, et la sauve. Le public s’attache et s’identifie à la jeune prostituée, tandis que les autres personnages, relégués aux rôles stéréotypés, filent la métaphore de la masse compacte d’une société aliénante, patriarcale et conformiste, renvoyant dos à dos chacun de ces trois là qui pensent disposer de Lizzie car elle est la femme: le “nègre” (Baudoin Jackson), le sénateur (Philippe Godin) et son neveu (Bertrand Skol). Les trois comédiens sont formidables dans une création d’un faux semblant qui ne cache que le vide de leur égoïsme. 

Elle réside ici la merveille de la pièce. Lætitia Lebacq est formidable à nous saisir sans nous lâcher jamais et lentement donner un esprit à cette femme qui saura se déniaiser et confondre les salauds du patriarcat. La réalisation, soignée et rigoureuse, finit par offrir au spectateur une parabole à ne pas manquer sur fond de racisme, de misogynie et de patriarcat qui en dit encore long sur notre époque. 

La putain respectueuse de Jean Paul Sartre, La Folie Théâtre jusqu’au 20 juin 2021, jeudi 19h15 – samedi 18h00 – dimanche 16h30, Texte : Jean-Paul Sartre, Avec : Lætitia Lebacq, Bertrand Skol, Philippe Godin, Baudoin Jackson, Mise en scène : Laetitia Lebacq

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