Au théâtre des Célestins à Lyon, Myriam Boudenia crée Palpitants et dévastés, un conte philosophique sur l’origine, sur l’identité et sur la joie.
Le décor étrange nous apparait comme une photo ancienne et délavée, volontairement colorisée. Christian se marie avec Céline. Sidéré, il découvre par la voix du maire que son épouse vient d’Europe de l’est. Son deuxième prénom est slave. Cette découverte ébranle Christian, ses convictions, son identité ; elle envahit son imaginaire et déclenche en lui une soif de savoir. La réalité convenue qu’il croyait inébranlable s’effrite devant lui, mais, volontaire le jeune époux décide de traverser la brèche pour découvrir une autre réalité celle des contingences.
Palpitants et dévastés consiste en une comédie dramatique brillante façonnée par une humanité qui saisit son public avec force. Elle est pleine d’un trouble que l’autrice veut transmettre, le trouble de l’identité. Le deuxième prénom, détail apparemment anodin, enferme une origine enterrée, refoulée quasi effacée. Pourtant, nous irons voyager en Gallicie, en Ukraine, en Pologne, au milieu de ces frontières mouvantes. Nous nous souviendrons de l’horreur communiste, du terrible fascisme qui a commis ce que les ukrainiens appellent l’Holodomor (l’extermination par la faim). Myriam Boudenia raconte cela : le destin de cinq personnages au sein de la grande histoire, trois générations de femmes. Elle questionne l’exil, la résilience et l’assimilation. Elle nous enseigne que l’espace vitale n’existe pas, que d’aucun n’ a un espace à défendre ou à conquérir.
Les comédiens sont admirables. Marian Badoï, qui incarne un musicien de métro marié à la mère envoute dans une scène à l’accordéon d’une humanité radicale, Anne de Boissy qui invente la mère, personnage au centre de la bascule des générations, un pied en Gallicie un pied en France ; Sarah Kristian fabrique une grand mère désarmante garante du passé mais souffrant d’Alzheimer dans un Ephad ; Lucile Marianne est Céline, une mariée volontaire, positive, résiliente. Quant à Martin Sève, le mari, comédien définitivement talentueux, il réussit à défendre un personnage naïf, amoureux, ridicule, pathétique et attendrissant ; il force nos identifications.
La pièce brille pas son biais et sa générosité. Myriam Boudenia ne pousse pas un cri, ne défend pas un manifeste. Elle (se) raconte simplement pour poser devant nous avec humour les questions de l’assimilation qui n’est pas affaire de prénom, de l’origine qui n’est qu’une contingence et du couple qui n’est pas une solution cependant qu’un délicieux risque à prendre.
Sa pièce est une réussite d’art dramatique. Elle est aussi un trésor pour nos pensées. Par le hasard de l’actualité et malgré elle, Myriam Boudenia répond à Wajdi Mouawad qui proclame, pauvre raccourci : L’origine est fixe, l’identité se construit. Lumineuse elle sait que l’origine se construit en chemin à la façon d’un puzzle. L’origine chez elle est imaginée, réécrite, repensée; la fiction l’emporte sur nos inconscients. Elle répond sans le vouloir à Zemmour ; sa pièce confirme s’il nous le fallait que les populistes par une dangereuse malice savent nous préparer des salmigondis indigestes à partir des mêmes ingrédients utilisés par d’autres, généreux, pour des plats d’exception. La pièce est belle et précieuse.
Palpitants et dévastés de Myriam Boudenia
Avec Marian Badoï, Anne de Boissy, Sarah Kristian, Lucile Marianne, Martin Sève
Musicien accordéoniste – Marian Badoi / Son – Julien Vadet / Scénographie et accessoires – Quentin Lugnier / Lumière – Yoann Tivoli / Costumes – Julie Mathys
– Création du 23 septembre au 03 octobre 2021 aux Célestins, théâtre de Lyon
– le 5 février 2022 au Théâtre Jean Vilar – Bourgoin Jallieu
– le 17 mars 2022 à l’Auditorium Seynod
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