(Lecture de Jours de joie de Arne Lygre . 1e septembre 2022)
La pièce est construite en deux parties :
Une première partie de jour, près d’un cimetière.
La deuxième partie de nuit, chez David, un autre moi.
Entre les deux, Aksle, un moi, disparait.
Les personnages de la pièce n’ont pas de prénom, à l’exception de David et de Aksle. Sont-ils un même personnage ?
Il n’y a aucun nom de famille. Que va-t-on inscrire sur la pierre tombale ? Chacun est défini par l’autre de la relation, par ce qu’il est pour un autre, précédé d’un article indéfini. Un petit autre sans Autre. Interchangeable. Chosifié. Essentialisé. Universel. Une mère, une sœur, un voisin etc.
Chacun est défini par l’objet qu’il a perdu : une ex-femme, un orphelin de père, une veuve, etc.
Aksle, ce prénom vient de « auxillium ». Il serait le Moi auxiliaire de David, défini en creux du moi de David, dans un amour fusionnel, gémellaire. Des mêmes.
Il n’y a pas de sujet.
J. Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir » : « Un signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant. » Le « parlêtre » résulte des notions de langage et de parole en tant que structures signifiantes définissant des relations. Le parlêtre (le sujet barré) ex-siste via les signifiants qui le représentent auprès d’autres signifiants dans l’univers du langage.
« Mon voisin », plutôt que « un voisin » fait circuler ce voisin dans ma parole, je parle de lui, il existe en tant que sujet.
Aksle a eu une trop bonne mère, toujours là dans la peur de ses fausses-couches passées, une mère qui ne s’absente jamais.
La subjectivation passe par la perte de l’objet. Aksle va devenir l’absent. Puisqu’une mère, trop bonne a rendu impossible le jeu de la présence et de l’absence. Un monde sans fonction paternelle, sans circulation, hors discours, de jumeaux, d’homogène, d’homosexualité, de capture imaginaire, d’identités forgées dans le creux laissé par l’autre.
Les mères haïssent les autres de leurs enfants : maris, belle-mère, ce qui se devine de la présence génétique du père qui altère la pure parthénogénèse.
Les investissements sont narcissiques moi/petit autre, sur l’axe imaginaire. Il n’y a pas de relation, juste des liens.
Il n’y a que des identités imaginaires, comme une mise en abyme, « De pouvoir voir son propre niveau se refléter dans l’autre. ».
Comment entrer dans le langage sans fonction paternelle ? Comment accéder au désir, au manque sans absence ? Comment accéder à l’altérité ?
Qu’est-ce qui définit l’identité d’un être : nom, groupe d’appartenance, classe sociale, ce qu’on dit, ce qu’on fait, orientation sexuelle, système de relations, avoir de l’argent, mariage, etc.
Qui définit les places et les fonctions ? Le jeu des places prétend à l’universel en un système d’équations. Est-ce Aksle qui définit les places ? Est-ce son rapport au monde, son point de vue qui nous est donné ? Tout est dédoublé, Aksle est un autre David, un alter Ego, un double ?
La pièce aborde des pertes, des séparations, des pertes de liens, des deuils : divorce, mort de la mère, mort du père, mort de l’époux, mort de l’épouse, etc. Il est question de sentiments : l’amour, la haine, l’amitié.
Aksle disparait pour « Se regarder d’un œil neuf », « recommencer à zéro » et pour « protéger les autres de lui-même ».
Aksle part pour être lui-même, parce qu’il était totalement l’autre.
Aksle se perd puisque l’objet n’était pas perdu. Il va faire une traversée du désert pour introduire du manque vivifiant et de l’altérité.
Aksle part pour accéder au symbolique, quitter sa position de moi auxiliaire, l’axe imaginaire, narcissique et devenir un Je. Il va se libérer de tous ses déterminismes pour sortir de l’imaginaire de l’autre dont il est captif. Faire fi de l’origine pour savoir ce qu’il reste comme identité. Ex-sister.
David imagine la nouvelle rencontre de Aksle. Il ne peut imaginer pour Aksle une autre rencontre que leur propre rencontre, il n’y a pas de place pour autre chose qu’une répétition du même, pas de place pour l’inconnu.
Aksle est parlé. Il est otage, prisonnier de l’imaginaire de l’autre.
Il va devenir l’absent. Aksle va s’extraire de ce monde mortifère, plein, le monde de la Chose, pour décompléter une mère trop bonne et introduire du manque, de l’absence pour accéder au symbolique, à la joie. Les personnages se dédoublent, des jeux de substitutions deviennent possible. Les identités se sculptent de ces pertes successives.
Sa disparition introduit l’absence dans le cimetière, introduit de la vie.
Perdre l’objet pour le retrouver.
Il faut de la perte pour accéder à la joie.
Et au pardon.
Disparaitre, détruire l’objet pour la joie des retrouvailles.
La joie serait un certain rapport au monde, le contraire de la « noirceur », le rapport au manque de l’objet.
La Joie serait le pardon, du joyeux, du vivifiant, la gratitude, être passé dans le registre du désir par rapport au registre du besoin, l’accès à l’autonomie subjective, au registre du signifiant. « Aimer les gens ».
Aksle part pour naitre, s’extraire du ventre maternel. Peut-être n’était-il, dans la première partie de la pièce, que l’enfant imaginaire de la mère. Il laisse place à David, décomplété de son double, reconnu par la mère dans son altérité, porteur de la voix de son père. « J’étais déçue quand j’ai compris que tu avais hérité de la voix de ton père. » dit la mère.
Cette pièce retrace le chemin vers la gratitude pour ce que la vie nous a donné, plutôt que la souffrance pour ce qui nous a manqué par rapport à nos attentes, nos espoirs, nos idéaux, le chemin vers le pardon qui nous permet de enfin « aimer les gens ».
Cette pièce serait un récit structural d’un parcours de subjectivation.
Représentation (avant-première du 14 septembre 2022)
Je découvre la splendide mise en scène, le tapis de feuilles mortes, l’interprétation d’une mère, si drôle dans son parler vrai. Et les subtils changements par rapport au texte précédent.
La distribution qui valide ce que le texte laissait pressentir : ce dédoublement des personnages, avant et après la disparition, le changement que cela opère dans la réalité de chacun.
Des répliques prennent du relief, s’entendent autrement.
Ce que j’ai écrit me semble à côté, il faudrait relire le texte, revoir la pièce, retrouver chaque étape de ce parcours vers la joie.
Magali Taïeb-Cohen
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