Herculine Barbin
Archéologie d’une révolution
D’après Herculine Barbin dite Alexina B. publié et préfacé par Michel Foucault
Adaptation Catherine Marnas et Procuste Oblomov
Mise en scène Catherine Marnas
Avec Yuming Hey et Nicolas Martel
Dossier de Presse :
1868. Dans une mansarde sous les toits de Paris, le médecin légiste découvre le corps inanimé d’Abel Barbin, vingt‑huit ans, une lettre expliquant son suicide, et un manuscrit intitulé Mes souvenirs. C’est ce livre, aujourd’hui disparu, rarissime récit d’une personne intersexe, exhumé par Michel Foucault et identifié par certains chercheurs comme l’acte de naissance des gender studies, que Catherine Marnas adapte. Avec douceur, tendresse et empathie, elle redonne vie aux souvenirs d’abord heureux d’Herculine, et comme un album photo que l’on feuillette à l’envers, remonte le temps : une enfance pauvre, l’éducation des pensionnats religieux comme ascenseur social, la découverte du désir et la recherche de liberté dans une société qui en offre si peu aux femmes. Jusqu’au point où tout bascule. Brutalement déclarée de sexe masculin, elle est exclue de l’univers dans lequel elle a jusque-là évolué, puis lancée sans ménagement dans le monde des hommes.
La metteuse en scène s’appuie sur la fluidité de l’envoûtant acteur-performeur Yuming Hey pour incarner Herculine. À ses côtés, fondu dans les voiles légers et flous, qui sont comme autant de surfaces de projections mémorielles, Nicolas Martel joue les entremetteurs d’époques entre le xixe siècle et aujourd’hui. Entre les deux, le masculin vacille.
Mon papier :
Sous le regard de Catherine Marnas, le sourire d’Herculine.
Dans son journal intime, Herculine Barbin se raconte sous la forme d’un cri d’amour vers ceux qui plus tard la liront. Un siècle après sa mort, Michel Foucault publie le récit original. Aujourd’hui Catherine Marnas ajoute une occurrence cardinale à l’œuvre. Sa pièce d’une grande élégance doit être vue, sans cesse expliquée, sans cesse commentée car elle se constitue de la mémoire d’une époque qui se trompait et de la preuve renouvelée que le sexe ne se décrète par un examen médical mais en interrogeant l’individu qui seul sait.
Le sexe de l’ange
J’ai à peine connu mon malheureux père, qu’une mort foudroyante vint ravir trop tôt à la double affection de ma mère , dont l’âme vaillante et courageuse essaya vainement de lutter contre les envahissements terribles de la pauvreté qui nous menaçait
Herculine, déclarée femme à la naissance, élevée parmi des femmes dans un couvent, devient institutrice dans un établissement catholique pour jeunes filles. Très jeune, elle pressent sa différence sans la concevoir vraiment ; elle, lit singulièrement bouleversée les métamorphoses d’Ovide. On imagine son intérêt pour le récit où la nymphe Salmacis tombe amoureuse d’Hermaphrodite, le fils d’Hermès et d’Aphrodite, à la suite de quoi les deux êtres se fondent en un être bisexué à la fois homme et femme. A la puberté, Herculine suite à des douleurs consulte un médecin. La découverte est sidérante pour le docteur comme pour sa jeune patiente. L’anatomie génitale d’Herculine est ainsi : un micro pénis imperforé recouvert d’un prépuce et ne dépassant pas en volume le clitoris de certaines femmes; au-dessous un urètre analogue a celui d’une femme, au dessous encore l’orifice d’un simili vagin qui se finit en un cul-de-sac. L’académie de médecine puis le tribunal appelé à statuer sont formels : Herculine est déclarée de sexe masculin en raison de ses caractères sexuels mélangés a proéminence masculine. Celle qui se croyait femme se trouve alors propulsée à 21 ans dans une nouvelle identité où elle devra se confronter en tant qu’homme à tous les pouvoirs : médical, moral, administratif. Herculine, devenue Abel, se suicidera en 1868 laissant derrière elle le fameux manuscrit.
La première expérience de spectateur est esthétique. Sur le grand plateau du théâtre, une rangée de lits et des draps blancs qui recouvrent ce dortoir. Au fond sur un écran blanc des projections videos troubles finissent de figurer au sein d’une pénombre un lieu hors temps, le siège d’une tristesse, d’une solitude, mais aussi, l’endroit des amours adolescentes. Déjà nous pénétrons le théâtre astral, uranien de la psyché d’Herculine. Sur ce nuage onirique imaginée par Catherine Marnas, Herculine semble un ange. Interprétée par l’artiste non binaire Yuming Hey, elle est un ange attendrissant, fragile et évanescent. Le comédien, formidable de précision, mélange les genres pour rendre compte d’une corporalité singulière. Ses colères autant que son sourire bouleversent. Il fabrique par une géniale déréalisation l’abstraction nécessaire à nos réflexions. Il est tout à la fois notion refusant les archétypes.
Un témoignage pour le siècle.
Freud, dés 1910, invoque les exemples d’hermaphrodisme pour postuler de l’hermaphrodisme psychique. Il révolutionne pour toujours notre rapport à la dialectique homme femme en proclamant avec courage que nous sommes tous bisexuels, chacun vivant son genre géolocalisé par un processus inconscient sur une large palette où l’hermaphrodisme psychique est la règle. Enfonçant le clou, Freud découvre aussi que l’identité sexuelle est le résultat d’un processus d’identification. Nous ne sommes pas femme ou homme, nous nous identifions à notre sexe. Judith Butler finira le geste en décollant définitivement anatomie et identité, en repérant le trouble dans le genre. Ainsi, le 21e siècle s’ouvre sur une reconnaissance, diversement partagée encore, de tous les genres et de toutes les sexualités. Et il est définitivement acquis que le sexe anatomique n’impose ni de s’accorder à un sexe réputé social ni de se conformer à celui d’une sexualité prévue.
Le témoignage d’Herculine se déroule à une époque où les femmes sont fortement assignées socialement. Il est le témoignage authentique d’un individu isolé. La jeune hermaphrodite ne milite pour aucune cause sauf celle d’être aimée pour elle même. Sa belle plume au style littéraire du romantisme est toute conservée par Catherine Marnas. La scénographie forme un cocon merveilleux pour raconter les amours émouvantes pour la jeune Sara. Yuming Hey défend chaque biais tandis que Nicolas Martel qui incarne tous les autres personnages impressionne par sa capacité à accompagner le récit harmonieusement.
Retour sur le freudisme au 21eme siècle.
Depuis Herculine, le freudisme a subverti un patriarcat convaincu d’une différence radicale entre les sexes. Lorsque Herculine est déclarée homme, elle l’est au titre d’une théorie depuis invalidée tant par Freud que par les théories du genre. Catherine Marnas dans une généreuse humilité ne pose aucun manifeste, ne pousse aucune théorie, n’impose aucun point de vue sauf celui de nous faire aimer cette ado secouée par les multiples intrusions dans sa vie et par les effractions subies dans son intimité. Son geste vertueux respecte Herculine et appelle en retour à notre respect.
Le testament d’Herculine Barbin reste brûlant – souhaitons que la pièce soit présentée au plus grand nombre- car les combats nécessaires d’émancipation de tous les genres et de toutes les sexualités se mènent encore partout avec vigueur.
Je souhaite participer à ce bord de scène :