Le metteur en scène associé à l’Odeon (vu en Octobre 2020) s’empare du monologue du Grand Inquisiteur, point de départ d’une farce philosophico-politique.
Creuzevault se plonge dans Fiodor Dostoïevski
Il avait créé en mode foutraque une pièce autour des Démons de Dostoievski. A l’Odeon, en préambule à son adaptation début 2023 de Les Frères Karamazov, Syvain Creuzevault a choisi d’ajouter, au vu de la crise sanitaire, Le Grand Inquisiteur, extrait des Frères Karamazov revisité version burlesque et gore. La crise sanitaire est dernière nous mais entre temps, deuxième malchance pour son pamphlet communiste, Poutine attaque l’Ukraine. Le long monologue philosophique où le frère ainé Yvan Karamazov imagine pour son jeune frère candide Aliocha le retour du Christ au milieu de l’inquisition, devient une fête du communisme entre Rocky Horror Picture Show et séminaire underground. Le Christ y est reconnu comme le messie tandis que le vieil inquisiteur dresse un réquisitoire contre cet homme qui réalise des miracles. Le sacrifice Christique et la cardinalité de l’amour de son prochain font place à la centralité de la liberté individuelle (à la soviétique?). Sous le regard d’un pape déboussolé se pose l’arbitrage entre liberté individuelle et sécurité, rappel de nos dilemmes d’aujourd’hui. L’ensemble est verbeux, un peu lourd d’autant que c’est la traduction d’André Markovitz qui a été préférée à celle plus mélodieuse de Henri Mongault.
Auschwitz serait une question
Au deuxième acte, Creuzevault tient une conférence de science politique où il confronte le grand Inquisiteur au Penser est fondamentalement coupable d’Heiner Müller ; il place les mots de Dostoïevski dans la bouche de Staline, Marx, de Thatcher ou de Trump. Entre deux pitreries, nous sommes étonnés d’apprendre que Auschwitz est l’autel du capitalisme (Creuzevalt appelle depuis 2018 au boycott culturel d’Israel), que le communisme est un individualisme, que le capitalisme est un collectivisme et qu’enfin la découverte de la solitude consubstantielle à nos existences fut offerte vertueusement par le communisme. Le manifeste est étrange, parfois sauvé par une danse folle des personnages défendue par des comédiens à la tâche.
En moins de deux heures bien bavardes, Sylvain Creuzevalt nous aura fait rire de ses trouvailles scéniques et des clowneries de ses comédiens. A la fin nous devrions comprendre que le vrai prophète n’est pas Jesus Christ mais Karl Marx. Un théâtre burlesque donc pour grenouilles de nouveaux bénitiers.
Le Grand Inquisiteur
d’après Fédor Dostoïevski
Mise en scène et adaptation Sylvain Creuzevault
Théâtre de l’Odéon