Après La gentillesse en 2016, Christelle Harbonn nous revient avec une pièce une fois encore sur le désir. Épouse moi pose avec clairvoyance la seule question qui compte, le sens de la vie. L’écriture scénique est géniale. Le rythme est implacable et parfait.
Christelle Harbonn poursuit son exploration d’un thème qui lui est cher : le désir et ses différentes modalités. A jardin un clavier, à cour un salon en miniature au mobilier campagnard et ringard. Un homme assis, il est le père; il sera rejoint par un couple, la mère et son fils. La discussion démarre sans que nous n’entendions rien . A l’autre bout de l’immense plateau un musicien devant le clavier attend. Le public s’installe. Des cintres pend le motif connu de Harbonn déjà vu lors de la gentillesse ; des boules de branches enchevêtrées. Certains y verront un au-delà, une instance supérieure, un divin, un grand autre lacanien, l’intrusion du hors champ ou encore le monde végétal qui se tient prêt à recouvrir la vaine civilisation humaine. Par son étrangeté, il est certainement tout à la fois.
Entre le musicien et la maison en réduction une traînée de végétaux barre le fond du plateau. Et puis rien d’autre. Le minimalisme de la scénographie permet une écriture singulière sous forme de touches sensorielles, de collage de scènes à la façon des images mentales désordonnées des rêveries diurnes. Cette mise en scène psychisante exige un rythme parfait, une interprétation imperceptiblement décalée et une clémente contribution des lumières et de la bande son. Forte de son travail sur La gentillesse, Christelle Harbonn maîtrise le geste et décoche la cible. L’expérience du spectateur est psychédélique. Le texte nous traverse avec force.
La pièce est une confrontation philosophique intergénérationnelle, au bord de l’effondrement, autour de la délicate construction entre son désir et le sens de la vie, autour de la question du comment articuler l’un avec l’autre, de comment se dépatouiller entre son désir, son quant à soi et les autres. Les parents y sont attachants mais ridicules; les adolescents épidermiques, désarmants et attendrissants. La cartographie de la pensée de ces derniers est admirablement dessinée, en prime avec un phrasé d’une grande justesse. Nous traversons la confusion de leurs sentiments, leurs revendications fébriles et leurs résignations stoïciennes. C’est remarquable.
La pièce qui nous saisit durant 1H35 nous offre des moments inoubliables de ravissements. Les comédiens sont accomplis; Blandine Madec est brillante. Épouse moi doit être vue et revue, par les ados, les adultes, les parents, les professeurs. Elle est une contribution artistique dont on se sort pas indemne.
Épouse-moi, Tragédies enfantines
Écriture Compagnie Demesten Titip
Dramaturgie & mise en scène Christelle Harbonn
jusqu’au 9 mars à La Criée – Théâtre National de Marseille
les 14 et 15 mars au Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence
Crédit photos Clement Vial