
L’histoire de Agatha est celle d’un empêchement amoureux visité par la présence fantomatique d’une mère qui se défausse pour mieux s’imposer. Dans un décor sans bords, empilement de reliquaires, une femme retrouve un homme. Huit mois après la mort de leur mère, elle a convoqué son frère pour lui annoncer son départ avec un homme. Commence alors un jeu fraternel, parfois enfantin, amoureux aussi et incestueux. Agatha est une pièce crue sans filtres sur le tabou de l’inceste, du voyeurisme et des relations innommables. Elle est un plongeon au fond des âmes mises à nues, car selon Duras : l’inceste ne peut être vu du dehors. Dans un vouvoiement adopté pour la circonstance, le frère et la sœur vont revisiter leur mémoire et oser une reconstitution de ce qui s’est passé cet été là, celui de leur amours incestueuses. La langue de Marguerite Duras construit un récit d’une force dramatique rare, d’une puissance littéraire unique.

Les deux comédiens investissent leur personnage avec talent. Ils sont au diapason et il nous semble entendre un seul poème à deux voix. Les deux êtres désormais adultes revisitent par anecdotes successives un temps lointain au cours duquel le désir monta chez l’un pour l’autre. Les regards se croisent entre élan et abandon. Ils luttent contre le romanesque et la pente amoureuse qui les brûlent en s’accrochant à l’énoncé du factuel; ils adoptent une posture de journaliste pour ne pas sombrer. Toutefois si ils cherchent à chasser tout affect, les corps trahissent parfois et les mots de la pulsion lors de rares répliques -Viens – Ton odeur font intrusion tandis que les je balise la parole.
Les deux comédiens soutiennent la force du propos. Marine Behar est Elle. Merveilleuse elle soutient le défi de l’extrême ficelage de l’érotisme du texte. Sven Narbonne est Lui; il occupe admirablement la place imposée par le rôle. Lentement, imperceptiblement il rendra les armes et à la dérobée consentira à ouvrir pour Elle une contingence de salut. Louise Vignaud saisit l’ensemble de l’équation. Depuis son Misanthrope, son Phèdre de Sénèque à la Comédie Française ou son Rebibbia on connait son intelligence des textes. Elle polarise sa lecture de la pièce sur la mère absente. Hors champ, ce tiers, deus ex machina manipule les êtres, accompagne et légitime leurs actes. Lecture brillante car Marguerite Duras aura sans cesse rêver les mères. Brillante aussi car ne pourrait vivre une relation amoureuse si intense sans un tiers commun, une justification inconsciente tacitement convenue. Au plus prés du texte de Duras et de la réalité des psychés, Louise Vignaud nous offre un instant rare de théâtre. Le final est beau et glaçant.
A l’issue de la représentation, j’animerai un Bord plateau en présence de Louise Vignaud, metteuse en scène. Mon invité sera Gérard Pommier, psychanalyste, psychiatre, professeur des universités. Il dirige la revue La Clinique Lacanienne. Auteur de très nombreux ouvrages, il a publié, en 2020, Racine cubique du crime. Incestes

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