« Je suis né à Fiume, j’ai grandi à Belgrade, Budapest, Presbourg, Vienne et Munich, disait Odön von Horvath, j’ai un passeport hongrois – mais je ne me connais pas de pays natal. Je suis un mélange tout à fait typique de l’ancienne Autriche-Hongrie.: à la fois magyar, croate, allemand et tchèque – mon nom est magyar, ma langue maternelle l’allemand. »
Odön von Horvath est né en 1901, au sein de la petite noblesse hongroise. On sait peu de choses sur son enfance. Lui-même affirme l’avoir oubliée. Après des études à Presbourg, il séjourne à Budapest et Munich.
Les nationalismes : contexte
En 1910, l’Empire comptait plusieurs nationalités qui a l’époque était définies par la
déclaration d’usage de la langue :
- Les Allemands sont 12 006 591 (23,4 %), dont 10 millions en Autriche et 2 millions
en Hongrie. - Les Magyars sont quelque 10 056 315, soit 19,6 % de la population de la Doublecouronne.
- Les slaves (Serbes, Croates, Polonais, Slovaques, Ukrainiens, Tchèques) quoique
sociologiquement disparate, comptent pour près de 45 % du total de la population. - Les Latins (Italiens au Tyrol du Sud, en Istrie et en Dalmatie, Roumains en
Transylvanie, en Hongrie orientale et en Bucovine) représentent quelque 7,8 %.
Par ailleurs, 2 313 569 sujets de l’Empire (4,57 %) appartiennent à d’autres cultures ; il s’agit principalement des Juifs (majoritairement de langue yiddish, notamment en Galicie, leur principale zone d’implantation) et des Roms.
Il existe alors quatorze langues littéraires dans l’Empire, ainsi que de nombreux sous-groupes linguistiques. L’allemand est langue officielle en Cisleithanie, le magyar en Transleithanie.
Cependant, au sein de l’armée, l’allemand reste la seule langue du commandement même si les officiers doivent être polyglottes afin d’être compris de leurs hommes.
Entre 1922 et 1924, Horvath tente d’écrire des poèmes et des drames historiques : il en brûlera les esquisses. Son père, Edmund Josef Horváth, est diplomate de l’empire austro-hongrois et sa mère, Maria Hermine Prehnal, descend d’une famille germano-hongroise de médecins militaires. Traduit du hongrois, son nom de famille signifie « le croate ». Jusqu’à l’âge de ses 17 ans, la famille Horváth suit les affectations du père à Belgrade, Budapest, Munich, Bratislava, Vienne. C’est à Munich qu’il commence, plus tard, des études de littérature à l’université. Lors de son enfance, il est donc amené à changer régulièrement d’école, d’amis et de langue.
Cet aspect de sa vie lui permet cependant de prouver d’une extrême tolérance, d’une observation très précise ainsi que d’une liberté d’esprit. Sa diversité de cultures et de lieux de résidence fait de lui un « pur produit » de l’empire austro-hongrois, comme on l’appelait à son époque.
N’ayant jamais aimé la campagne, passionné par les villes, il se fixe à partir de 1924 à Berlin. Deux ans plus tard, il écrit Hôtel Bellevue, le cas E – l’histoire d’une enseignante révoquée pour ses idées communistes. On entend parler de lui pour la première fois en 1927, lorsque sa pièce Révolte à la côte 3018 est montée à Hambourg. Mais il ne connaît de véritable consécration qu’en 1931. Il adapte alors pour le théâtre plusieurs de ses textes en prose, publie des nouvelles, et projette d’écrire un roman. La nuit italienne qui s’inspire du climat politique de la Bavière, est montée à Berlin en 1931.
Cette même année, Odön von Horvath commence à rédiger ses Histoires de la forêt viennoise, qui lui vaudront le prix Kleist, la plus haute distinction allemande. Mais les nazis commencent à l’attaquer, à cause de ses amitiés communistes, et de son action en faveur des droits de l’homme : sa première pièce Foi, espérance et charité ne sera pas montée en 1933, par peur des représailles S.A. Au printemps, Horvath quitte Berlin pour Salzbourg; il comprend peu à peu ce que signifie l’Allemagne hitlérienne.
Partisan de la République, antinationaliste convaincu, Horvath se veut dans une certaine mesure au dessus des partis. Il n’aime guère la social-démocratie, mais se méfie tout autant du Parti communiste allemand. Il n’en est pas moins l’un des premiers auteurs à attaquer les nazis.
Ce fut peut-être le déracinement perpétuel de Horvath, sa traversée de plusieurs langues et et de plusieurs cultures qui expliquent la spécificité de son théâtre. C’est avant tout un observateur génial qui mêle sans cesse la psychologie et la sociologie pour donner du réel un portrait grotesque et inquiétant – plus vrai que nature. Son humour ne fait ni rire ni pleurer : il fait peur. Ses personnages appartiennent en général aux classes moyennes, même s’il attaque aussi l’aristocratie et la haute bourgeoisie. Horvath s’en prend aux petits-bourgeois, aux employés, aux fonctionnaires, aux commerçants dont il pressent à la fois le poids politique et l’évolution vers la droite, à travers leur hantise du prolétariat. Il n’a aucune pitié pour les valeurs de la droite – le culte de l’armée, le nationalisme, l’anti-sémitisme – mais critique avec autant de violence le conformisme, et la médiocrité satisfaite.
Rien ne donne plus le sentiment d’infini que la bêtise.
Les Histoires de la forêt viennoise est un pur chef d’oeuvre. Pièce populaire, par excellence, les héros qu’Horvath nous présente en l’espace de courts et nombreux tableaux sont tous médiocres et quelconques. Dans la même rue de Vienne voisinent le Roi des magiciens, réparateur de poupées, – dont la fille Marianne est promise à Oscar le voisin boucher, – et la buraliste dont l’amant Alfred tombe amoureux de Marianne. Tous ces personnages, aussi insignifiants les uns que les autres sont saisis dans leur quotidien, à travers les situations les plus ridicules :Alfred a mangé tout le lait caillé de sa grand-mère qui lui réclame l’argent emprunté, pour qu’elle paye elle-même son enterrement. Oscar est atteint dans son amour propre car on prétend que son boudin n’est pas bon. Une cliente riche achète pour son fils des boîtes de soldats blessés et tués afin qu’il s’amuse. Le roi des magiciens cherche désespérément ses fixe-chaussettes. Valérie et Alfred se ruinent aux courses. Le dimanche, ils vont dans la forêt, près du « beau Danube bleu » et prennent des photos de famille. Le génie d’Horvath tient à ces dialogues prétentieux et insignifiants à en pleurer, pitoyables ou cocasses où se révèle la la mentalité petite bourgeoise, où pas un mot n’est de trop.
Horvath : lecteur de Freud
Sigmund Freud porte un rôle central dans l’œuvre de Horváth. Horvath a compris chez Freud qu’une idée qui se présente à l’esprit ou un acte ne sont pas arbitraires, ils ont un antécédent, un sens, une cause que l’exploration de l’inconscient permet de mettre au jour. Certaines actions perçues comme involontaires ne sont pourtant pas dues au hasard
Horvath lit L’inquiétante étrangeté qui parait en 1919
Unheimlich est un terme très présent dans la littérature allemande, en particulier la littérature romantique. Pour Horváth l’ Inquiétant est un élément important dans toutes ses pièces. C’est la raison pour laquelle il évoque cette notion dans son mode d’emploi : Toutes mes pièces sont des tragédies – elles ne deviennent comiques que parce qu’elles sont étrangement inquiétantes. Il faut faire exister cette inquiétante étrangeté.
Photo : Plaque apposée en hommage à Ödön von Horváth par son éditeur Thomas Sessler Verlag sur la façade du Théâtre Marigny (Paris 8e).