Laurent Lafitte est Dom Juan, forcément

Emmanuel Daumas propose dans une mise en scène minimaliste un Dom Juan axé sur la performance de Laurent Lafitte. Le comédien relève le défi et enchante le public.

Dom Juan est une pièce moralisatrice et anachronique

L’histoire est connue. N’écoutant que son plaisir, Dom Juan enchaîne les conquêtes. Ses victimes deviennent des jouets de sa rhétorique de séducteur. Son serviteur Sganarelle, faussement loyal, s’inquiète de l’amoralité de son maître et voudrait l’extraire de cette pente dangereuse, tandis que son père renonce par amour à le bannir. Prisonnier de son principe de plaisir massif et exclusif, il ne se dépasse que dans un au-delà de ce principe par une répétition compulsive aussi enivrante que mortifère. Rien ne semble sauver Dom Juan de la récidive.

Chez Molière, qui à l’époque emprunte beaucoup au théâtre espagnol, Dom Juan à l’origine rustre devient un débauché éclairé et cultivé. Il forme avec Sganarelle un duo édifiant. Le libertin se brûle dans la quête d’un individualisme qui infracte l’ordre religieux et enjambe l’égalité hommes-femmes. Chez Emmanuel Daumas, le fait clérical est radicalisé. La pièce commence par une procession religieuse aussi ridicule que terrifiante. Il nous plonge au plus près de l’archaïque patriarcat religieux. En réponse, Dom Juan pratique un jusqu’au-boutisme funeste.

Laurent Lafitte en érotique effraction

Le dispositif imaginé par Emmanuel Daumas est celui du théâtre forain, un plateau nu en bifrontal délimité par quatre poteaux façon ring de boxe, en contrebas les loges et leurs grands miroirs à vu. Nous pourrions parler de ces poteaux qui parfois cachent le visage du comédien, discuter des surprenantes prestations d’Alexandre Pavloff. Nous pourrions aussi parler de cette statue du commandeur transformée en bête chimérique ; nous pourrions parler de tout cela éloquemment. N’en parlons pas justement, car la force du spectacle, formidable, se joue ailleurs.

Laurent Laffite et Stéphane Varupenne, Dom Juan et Sganarelle, impressionnent. Les deux comédiens sont pleins d’une sincérité rare. Au sein de ce monde éminemment corseté, et plongé dans un drame liturgique et ritualisé, Laurent Laffite construit un Dom Juan en perpétuelle effraction de la société qui l’entoure, dans un forçage vibrant et assuré de son désir de libertin. Par son interprétation fine, on comprend tout, on adhère à tout: à son léger sourire, à sa conviction solide pour l’individualisme, à son insurrection optimiste. Mieux encore: le comédien use de son charme, de sa beauté et de sa sensualité pour érotiser le rôle. À ses côtés, Varupenne en désillusionné moderne nous apparait si familier, si proche de nous ; il restitue avec brio la sincérité d’un Sganarelle en valet soumis mais non dupe. 

En un mot, ce Dom Juan est une réussite. Nos doutes sur l’opportunité de certains détails de mise en scène ne sauront nous priver de la joie intense de découvrir le splendide et irréprochable Dom Juan créé par Laurent Lafitte.  

Dom Juan
de Molière
Mise en scène Emmanuel Daumas
Avec Alexandre Pavloff, Stéphane Varupenne, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Adrien Simion
Scénographie et costumes Radha Valli
Lumières Bruno Marsol
Son Dominique Bataille
Maquillages et perruques Cécile Kretschmar
Collaboration artistique Vincent Deslandres

Durée : 2h15

Théâtre du Vieux-Colombier, Comédie-Française, Paris
du 29 janvier au 6 mars 2022

Crédit Photo © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

 

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