Georges Zimra, psychanalyste, exerce à Paris. Il dirige la collection Groupe de recherche et d’études cliniques aux éditions érès. Psychiatre des hôpitaux, il a dirigé une unité d’accueil mère-enfant plus de vingt ans dans un service de psychiatrie adulte. Dans la suite du bord plateau autour de la pièce Eden Cinéma au théâtre de la ville des Abbesses, Georges nous a fait parvenir ce texte:
Je partirai de là. La mère de tous. La mère de tout. Mère de la multitude, des enfants morts, enterrés à même la boue des marais. Mère de tout. Mère de la totalité, mère sans mère. Mère cause de toute chose. Mère première. Sans partage, ni séparation. Démesurée, sans limites ni frontières. Sans Dieu ni maître. Sans parole. Rien ne la sépare du Pacifique. Rien ne l’en distingue. Elle appartient à la mer. Contenir la mer, l’arrêter, l’endiguer. Une vie vouée au barrage. Faire barrage contre le Pacifique. Sur elle les paroles glissent. Indifférente à ce qui se dit. Elle est sans passé, sans histoire. Une opacité impénétrable. Ce qui se dit d’elle ne dit rien d’elle. Elle est là. Inaffectée. Immobile, figée, cadavérisée, éternelle. Elle fait silence. Aucun mot ne dira ce qu’elle a été. Ce qu’elle est. La mère est sans mots. Sa jouissance est là. Personne ne peut la dire. Les mots ne servent qu’à fuir, à engloutir ce qui fuit. Il n’y a rien à comprendre. Rien qui ne puisse être saisi. Totalité du tout. Absolue. Faire barrage au pacifique, qui engloutit les morts et les récoltes. Faire barrage pour arrêter la mer. Tracer une impossible frontière, un improbable partage de la mer et de la plaine. Le barrage sa raison de vivre. Son tout. Sa folie. Inlassablement recommencée dans l’infini recommencement des destructions infinies. Vie vaine. Se séparer du Pacifique, de ses enfants, de la plaine, est une seule et même chose. Elle est l’exil. Le silence. L’océan. Les digues. Si joseph revient elle ne mourrait pas. Couple incestueux, Suzanne et Joseph dansent sur le cadavre de leur mère. Jo aime Suzanne. Suzanne est prostituée par la mère. Si Jo épousait Suzanne, la mère lui demanderait de construire des digues. D’arrêter le pacifique. Elle l’absorberait comme l’océan absorbe la plaine. De faire corps avec elle contre l’océan. Jo aime Suzanne. Elle laisse choir sa robe, son enveloppe comme une promesse de sortir de la totalité maternelle. Pour vivre dans la dissémination des parfums et des mots. Happée par la folie de la mère. Par son corps. La mère la prostitue. Sa robe de putain lui fait mal. Aucun nom ne peut la séparer du corps de la mère. De la multitude des corps sans nom.
Georges Zimra
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