Dans la suite de notre joyeuse rencontre en ZOOM, nous recevons ce texte :
Dimanche 4 septembre 2002
Tel-Aviv
Arne Lygre, retour
Notes
Pour répondre aux appels de la foule, je vous livre mes quelques notes télégraphiées, ce sont les idées un peu en vrac dont je peux encore prétendre à me souvenir, celles qui sont venues surtout dans le travail en amont de lecture et de contrepoint rigoureux auxquels en élèves studieux et passionnés par la gamberge -celle-ci avancée par Davidovitch, Magali et moi-même nous sommes consacrés, repris et développés en partie dans la rencontre orchestrée l’autre soir :
(…
. Pas de repère spatio-temporel
Hors du temps
Pourrait se dérouler à n’importe quelle époque dans n’importe quel contexte historique
Ça ne joue pas de toute manière ça n’a pas plus d’importance que cela quand bien même un sujet n’est jamais sorti de la cuisse de Jupiter décontextualisé dans sa chaine des Toldot et du bain de culture hors-sol hors-tout
Seul objet contendant -« Oh, merde ! Ma bagnole ! »
Suffirait lui substituer un canasson, une cariole, une locomotive de la belle époque du rail, …
. Le clair-obscur domine, jour, nuit va savoir, on oscille en permanence dans un entre deux mondes
Lecture du texte faite sur écran, hors papier, non pas d’un trait mais en plusieurs fois, interrompue et reprise sur quelques jours, une découverte, ne connaissais ni le texte ni l’auteur
Probablement participe d’un sentiment de confusion, le miens, qui rencontre peut-être alors celui dégagé par la pièce -quant à ce qui est donne à lire, à comprendre, à placer, à imaginer voire jouer en scène
. Confusion dans beaucoup de champs en prime de ceux déjà évoqués, on se perd facilement
Vivant, mort, qui est vivant, qui est mort, à quels échanges assistons-nous, évocations de souvenirs de vie d’un vivant ou de ceux d’un mort, dialogues entre vivants et morts, dialogues intérieurs entre les mondes, … on peut sur cette pente facilement glisser et démultiplier les scènes
Qui est qui pour qui … y a du burlesque insoupçonné à première vue surtout si on n’a pas vu la pièce, de l’absurde façon faconde Raymond Devos, Vladimir et Estragon ie. Godot
Et peut-être même à quelle période de vie d’un nombre limité de personnages si on pousse l’hypothèse d’un superposé de temps
Les places sont difficilement fixées elles pourraient être mobiles échangeables
Chœur antique, une masse de corps, un ensemble, compacte, des Stucks, indifférenciés
Les pères interviennent au début, puis s’effacent, les femmes et les enfants prennent le relai, ils sont alors parlés, évoqués, mais déjà pas très présents, pas beaucoup de densité, plus là, sortis de scène, les vieux du village corse d’Astérix&Obélix assis la cane pendante entre les pates sont plus vivants
. Pour reprendre quelque chose qui nourrit l’actualité des débats entre autres avec Roudinesco qui tira la première, suivit du tandem Lebrun/ Melman en tête le maillot jaune Winter and Co., pas de verticalité, pas de place d’exception, personne ne parle depuis cette place, elle est vide
Elle n’est pas assumée dans le présent, elle n’est pas évoquée dans l’histoire, absente, désaffectée, manquante
Pas de grand Autre -ni en haut, ni en bas
Pas d’antériorité non plus, pas d’histoires, des sujets qui ne sont pas géologiquement carottés mais prélevés, échantillonnés et qui sont montrés à un temps T.
Pas de nom pas de prénom pas d’âge pas de description physique ni de caractère pas de défaut de langue rien de particulier de spécifique -de différenciant
Vive le Communisme tout le monde avec le même prénom Jana/Jan, Petra/Petr, Miroslava/Miroslav … 1, 2, 3, 4 …. 10, 18, …
M’a invité à me poser la question de filer la lecture du texte du début à la fin sans s’arrêter sur les guillemets et les personnages du dialogue
. Pas d’identité
Un homme sans papier d’identité
Sans densité sans gravité, apatride de toute coordonnées y compris psychique
Gloubi-boulga pour tout le monde au menu
On patauge dans la mélasse
Quelques scènes quelques répliques saillantes dont je me souviens, et qui sur l’ensemble pour le coup mériteraient d’être notées/relevées :
- Y en a une qui parle le prénom qui évoque l’idée il me semble de le remettre en circulation …
- Une femme un homme qui se chamaillent se tiennent dans un louvoiement de circonstance, elle est enceinte elle attend un enfant de cet homme qui argumente d’une parole « malheureuse » quelle aurait prononcée pour refuser … quoi, à mon sens, d’entrer dans le langage, de le féconder, de lui donner corps, de le mettre en circulation, d’assumer sa division, son désir, celui du parlêtre de Lacan … de nommer un enfant
- Celle qui part en Live la seule qui jure au début à la fin, jure de faire la peau à la salope qui a pris son relais dans la couche de son homme, de lui reprendre sa queue qui lui appartient à elle seule … celle-là elle est bien morte n’est-ce pas …
. Deux seuls prénoms deux hommes deux amants deux qui se sont aimés … L’amour homosexuel à la lettre ici comme représentation figurative de la trajectoire logique de l’indifférenciation de la consécration du même, de l’endogamie …
Un au prénom créatif dixit la mère difficilement prononçable par faute de voyelle … Me fait penser aux mots des langues consonantiques ou les voyelles sont construites dans le corps de la consonne, Hébreu mis à part toutes les langues slaves : le féminin pas absent, pas manquant, mais au secret, en retrait, dans la poche kangourou du masculin …
Si on lui ajoute les voyelles manquantes on n’a pas franchement un prénom très original …
Écho avec les délires de l’homme le plus riche du monde qui nomme ses derniers rejetons X [x ae a- xii] et Y [exa dark siderael] (!)
. Des deux y en a un qui se barre, qui prend la tangente –Que pasa amigo? Il s’extirpe du marasme ordinaire, du cloaque névrotique de l’endogamie de classe, il fait le choix de la vie, lesté de son capital névrotique pour se donner la chance de faire au moins l’expérience au mieux d’accéder à une place de sujet, il s’arrache …
Dites, ce serait pas Yann Moix qui cause ?!?
. Un dernier truc qui est ce que j’ai pu éprouver dans le colletage au texte, de l’ordre du ressenti, commenté tel quel, qui vient avec le malaise de la lecture :
- On a affaire à des places – des fonctions – et des équations (.)
- Pas de subjectivité d’intersubjectivité, pas du tout ou tellement tenu …
- Une écriture toute symbolique, mathématique, abstraite. On est dans le monde de l’abstraction, non pas celui de l’imaginaire, d’ailleurs il y en a si peu, ce ne sont pas des enfants qui rêvent, qui inventent, qui parlent de leurs rêves, leurs fantasmes, leurs délires … Pas de Jeux, et pas de Je, pas de pronom personnel
- Le dépouillement absolu du sujet, plus rien, aucune identité, dénudé, pas même de coordonnées GPS
- Rigolo l’image de la mise en scène reçue de David, juste avant notre discussion, le sol recouvert de feuilles d’arbres, jaunies, mortes, …
- On est en joyeuse compagnie, avec des morts-vivants, qui vise comme idéal une promesse de pierre philosophale, le nirvana, celui d’un encéphalogramme plat.
…)
That’s all folks !
Samuel C.Beraud-Letz
Kehilat Tchenowitz 12
Tel-Aviv 6951165, Israël