L’un des fantasmes agissant, lorsqu’il n’est pas refoulé, au sein d’une fratrie est celui de la disparition du puîné, d’une façon ou d’une autre : qu’il n’existe pas!
Dans la pièce Pater les deux protagonistes nous présentent, dans la veine du mythe d’Isaac, la réalisation partielle mais surtout inversée de ce fantasme.
Ismaël, l’aîné est éloigné. Et c’est comme si Isaac, le puîné temporairement débarrassé, avait pour dette de se réjouir du retour de son grand frère. Grand frère qui en rien n’accepte cette joie car même s’il est revenu, il tient à conserver la distance que lui confère d’être un demi-frère même s’il se vit abandonné donc profondément lésé. Agi qu’il est par son propre fantasme d’avoir été moins aimé par le père, il tue, en son absence un père déjà mort, en perforant sa veste, de dos, comme une tentative de réparation symbolique d’un dol à jamais douloureux. Pour ce faire il utilise sa plus grande compétence, un don peut-être ? qui lui a permis de survivre, comme font les fils contre leurs pères. Il est un archer d’exception.
Merci aux acteurs pour la performance qu’ils réalisent au cours d’une première pièce, pour l’un d’être à la fois auteur, metteur en scène, interprète d’une pièce où l’humour permet de traverser sans grande peine le drame des fratries et pour l’autre d’être un complice dans la création qui se perçoit au-delà du jeu très crédible des deux comédiens.
Pour Lacan, le sujet, pour se constituer ne peut passer par autre chose que les mythes. Ici, la Genèse sert de support pour aborder cette situation au plus haut point ambivalente que suscite une fratrie pour chacun de ses membres, en l’occurrence, des frères.
Merci aussi pour la trouvaille d’une résolution possible de cette rivalité, de cet éloignement en passant par la mère d’Isaak. En effet, Sarah parvient à passer outre sa jalousie au nom de sa propre maternité. Apres avoir mis un fils au monde, elle peut sauver la vie d’Ismael et de sa mère Agar les encourageant à fuir au désert pour échapper à la folie d’Abraham aveuglément soumis à celui qu’il nomme l’Eternel.
Il faut bien au moins deux femmes pour parvenir à déjouer les plans imbéciles d’un père obédient jusqu’à l’obscurantisme !
Mention spéciale à l’inventivité qui introduit beaucoup de modernité dans la figuration et la mise en scène: des Playmobil aux modifications du décor en passant par l’orage et le choix de la musique entre autres. Un fils, même adulte, porte en lui, à tout moment, l’enfant qu’il a été.
Rendons hommage au tableau d’équilibriste et d’archer que ces comédiens formés à l’art du cirque nous présentent dans un naturel confondant. Ce n’est que dans un second temps qu’apparaît cette performance d’artistes qui font leurs premiers pas au théâtre, premiers pas, bien loin d’évoquer les châteaux branlants de la petite enfance.
Bravo!
Isabelle Kowalski
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