Théâtre

L’éthique de Matthieu Hocquemiller au Festival Trente Trente à Bordeaux

À l’occasion de cette 20ème édition, une soirée-focus fut consacrée à la censure, avec un débat organisé à la MECA autour de la thématique « Liberté d’expression et censure nouvelle », et des propositions visant à interpeller chacun dans ses propres barrières. Nous y étions.

Le festival Trente Trente revient avec une programmation toujours aussi audacieuse de formes courtes et hybrides au croisement des disciplines : danse, performance, cirque, musique, théâtre, installation… Surprenant par son format, ce rendez-vous unique suscite la curiosité en offrant une vision plurielle de la création contemporaine.  Cette 20e édition réunit près de 30 spectacles à voir sous forme de parcours dans 12 scènes culturelles de la Métropole Bordelaise, La Rochelle et Boulazac !

Voir par l’œilleton

La soirée autour de la censure a su proposer ce qui fait l’ADN même du festival, des formes courtes sidérantes, inventives, dérangeantes et toujours digressives. Ainsi fut projeté le court métrage de Jean Genet: Un chant d’amour. Depuis leurs cellules, deux prisonniers arrivent à communiquer grâce à un trou percé dans le mur qui les sépare. Avec la complicité silencieuse du gardien qui les observe par le judas, ils vont établir un contact amoureux et érotique en utilisant divers objets tels qu’un yoyo de prisonniers, une cigarette, une paille, leurs imaginaires… Ce court métrage muet en noir et blanc de 25 minutes fut tourné semi clandestinement en 1950. Il reprend malicieusement en creux quelques poncifs homophobes pour construire un moment de grâce. L’homosexualité était considérée à l’époque comme une déviance sexuelle. L’histoire de cette rencontre amoureuse fantasmée l’associe à la transgression, à la faute sociale, à la liberté sexuelle, à l’hypersexualisation, à la masturbation et au sado-masochisme. Le film fut censuré et dut attendre vingt-cinq ans avant d’être distribué. 

Voir par son angoisse

Le film est programmé après un débat fécond animé par le journaliste historique du Trente trente, Yves Kafka, au cours duquel le danseur et militant libanais Paulikevitch nous explique que s’il a subi une censure dans son pays elle fut du fait des bombardements de l’état d’Israël, « état d’apartheid ». Merveilleux télescopage. Rappelons que Genet fut condamné sans équivoque pour nazisme et antisémitisme,  et que son témoignage sur les Palestiniens fut totalement disqualifié. On rappellera les mots de Éric Marty: « Si Genet est antisémite, c’est tout simplement parce qu’à ses yeux le juif est le Bien, … l’antisémitisme de Genet est une angoisse du Bien ».   

Voir pour donner à voir

La suite de la soirée propose la performance de Paola Daniele, Épiphanie, qui cherche à projeter à nos consciences un caché de nos sociétés patriarcales : le sang menstruel. Déchet invisible, il devient matière, collection, énumération, décompte de sorte que son sacré et son sacrilège s’effacent devant une matérialité profane. 

Et puis cette soirée nous a offert un moment unique de tendresse et d’émotion. Dans l’Ethique, Matthieu Hocquemiller imagine une rencontre entre deux hommes. Un jeune travailleur du sexe rencontre un vieil homo un peu décati, et leur dialogue s’engagent en mode socratique, dans l’intimité du couple. Cette philosophie de boudoir version 21e siècle, est bien vite accompagnée de la rencontre des corps. Entrant de plein pied dans la pornographie, le plus âgé fait une fellation au plus jeune. Mais, les verges sont molles et le désir exsangue. Contrepoint subtile aux discours du débat : Sans censure reste-t-il encore du plaisir? L’expérience spectateur est intense. Il s’invente sous nos yeux un pas de deux en forme de dialogue complexe enchevêtrant récits de vie et réflexions philosophiques. Le propos est multiple, équivoque. Il ouvre à réflexion. Il oblige à introspection. Les deux comédiens sont formidables et l’écriture théâtrale de Matthieu Hocquemiller est un bijou de précision et de fluidité. 

Par sa programmation, par Genet, l’espiègle JL Terrade a su mettre en pièces la question de la censure.

Bravo et merci.

Depuis sa création, TRENTE TRENTE de Bordeaux a accueilli plus de 300 artistes et compagnies, dont : Mathurin Bolze, Steven Cohen, Ivo Dimchev, Crida Compagny, Joëlle Léandre, Olivier de Sagazan, Anthony Egéa, Etienne Saglio, Extime Cie, Ludor Citrick, Renaud Herbin, Les Limbes, Les Lubies, Eloise Deschemin, Carole Vergne, Giani-Gregory Fornet,

Crédit photo ©Contre sens du poil.

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