À voir ou pas en septembre

Borderline, la comédie de la rentrée au Théâtre de Passy

Dans la grande salle de l’élégant Théâtre de Passy, Daniel Russo et Philippe Lelièvre forment le nouveau tandem comique de la rentrée, immanquable et déjà iconique dans une pièce réussie de Flavia Coste : Borderline. On s’interroge :  pourquoi ces deux-là n’ont pas été réunis plus tôt ?

Une pièce drôle…

Imaginez un psy à trois ans de la retraite, un peu désabusé, mais non moins professionnel. Il fête ce soir-là ses 18 ans de mariage. Son épouse l’attend impatiente et agacée au restaurant alors que débarque dans son cabinet un patient : Pavel. Le psy, c’est Daniel Russo, comédien à l’humour puissant et silencieux. Pavel, c’est Philippe Lelièvre, comédien inimitable, entre Jim Carrey et Michael Richards de la série Seinfeld. Pavel est bipolaire. Ce soir-là, en phase hyperactive, il va ruiner la soirée de son psy, car Pavel se croit guéri. Il vient proclamer qu’il va mieux, qu’il remercie son psy et qu’il le quitte.

Le duo, dans un équilibre toujours vacillant, fait palpiter la comédie. Ces deux-là jouent sur un fil, l’un sécurisant l’autre. Leur humour quasi céleste s’intrique l’un l’autre dans un cocktail digne des grands tandems de la comédie à la française.

Pavel aurait terminé sa cure ? Personne n’y croit dans le public, pas plus que sur scène, et le psy devra jouer serré. Au milieu des rires, nous nous inquiétons : que va faire ce borderline. Daniel Russo riche de son talent de comédien (et de psy !) nous rassure. Il saura sauver son patient et sa soirée. En riant !

… et attendrissante.

La force du texte tient à sa vérité. Flavia Coste tient ici ses palmes. Elle crée du fictionnel avec un vécu malicieusement véridique. Les conflits psychiques sont décrits avec brio, ceux du psy en fin de carrière autant que ceux du patient qui, comme tous les patients du monde, ne cherche qu’à quitter son thérapeute. Nos peurs et nos fantasmes sont là aussi.

La dramaturge offre, par une description fouillée, une épaisseur et une véracité à chacun de ses deux personnages. Ainsi, au-delà des rires, nous sommes touchés, parfois bouleversés. Car Borderline parle de nous avec tendresse.

David Rofé-Sarfati

Fini la Comédie ! Confidences à Dalida de Fred Faure « C’était pas compliqué »

Au Théâtre Montmartre Galabru se déroule tous les samedis à 16 heures jusqu’au 9 décembre 2023 un seul en scène de et avec Fred Faure (il a fait ses classes avec Armande Altaï), dans une mise en scène de Sophie Delmas. Un agréable et émouvant spectacle musical qui swingue, pendant lequel il chante, danse et nous confie son difficile cheminement pour faire accepter et surtout accepter lui-même son homosexualité, ainsi que l’aide décisive que l’univers de Dalida lui a apportée dans ce parcours. 

Le spectacle débute, avec la voix de Madame Christi, son insupportable dernière patiente de la journée – il est podologue -, toujours retardataire, à la voix suraiguë, encore chez le coiffeur avec ses bigoudis. Une image pour le moins caricaturale de la femme, par opposition à la somptueuse photographie de Dalida, qui trône en pieds sur un coin de la scène, d’une beauté éblouissante en longue robe pailletée d’un blanc virginal et la chevelure souple blonde, à laquelle Fred s’adresse. Entre une femme singée en Mme Christi et une femme idéalisée et intouchable en Dalida, Fred a fait son choix. Les hommes. 

Le spectacle est entremêlé de chansons de Dalida, certaines en partie réécrites, et de deux chansons inédites pour nous faire le récit de la vie de Fred et de sa rencontre, enfin, avec l’amour.

Il n’y a dans le propos aucune revendication, aucune critique sociale. L’acceptation doit être intérieure, le combat à mener est contre soi-même pour pouvoir sortir du sentiment de honte. L’émotion est vive car Fred est un sentimental et un hyper sensible, les larmes lui montent fréquemment aux yeux.

La difficulté vient, plus que d’un ordre social rejetant, de la honte et de la crainte de décevoir le père. 

Il sera finalement davantage libéré par d’autres de sa « comédie », de sa prison intérieure qu’il ne sera en capacité de s’affranchir lui-même. Une amie le dira à sa grand-mère. Le banquier de la famille en informera le père lorsque Fred demandera un prêt avec son compagnon. Et, finalement, comme « Le lambeth walk C’était pas compliqué ».

Fred sera porté par l’univers de Dalida, ses fourreaux, ses paillettes, ses plumes, sa philosophie, ses chansons. Elle deviendra son icône, son pilier surtout à l’âge de vingt ans lorsque la star se suicide et qu’elle lui donnera la force de se redresser et d’affronter le risque de rejet paternel. Son hymne à « l’amour vrai », sans limite, va le convaincre que lui aussi y a droit, qu’il a fait tout ce qui était à sa portée pour échapper à sa condition d’homme aimant les hommes.

Ce spectacle est un hymne à la tolérance et un bel hommage à Dalida dont le parcours fut jalonné par la mort accidentelle de ses amants. Fred a aujourd’hui cinquante-quatre ans, l’âge auquel Dalida s’est suicidée et lui est pleinement vivant grâce à « sa Dali ». Les derniers mots de Dalida furent : « La vie m’est insupportable. Pardonnez-moi », mots que Fred aurait pu adresser, lui, au monde au moment de son entrée dans la vie, de sa seconde naissance, à sa sortie du placard.

Le spectacle se termine en musique, les spectateurs, gagnés par l’enthousiasme, entonnent avec Fred, les chansons de Dalida les plus emblématiques, éternelles, chefs d’œuvre de la variété française populaire.

A l’issue de la générale de presse, un nouveau portait de Dalida, troublant de ressemblance, à l’apogée de sa beauté, sera offert à Fred, venant peut-être de la Place du Tertre toute proche. A quelques encablures du théâtre Montmartre Galabru, il y a la maison et la statue de Dalida.

Magali Taïeb-Cohen

L’effet papillon, Tahar Mansour, pour mieux échapper à la manipulation   

Tahar Mansour propose tous les mercredis et les dimanches à 19 h au Studio Hébertot jusqu’au 20 décembre 2023 un spectacle immersif et interactif de mentalisme d’une grande originalité qui va nous mettre sous les yeux un certain nombre de phénomènes déconcertants. Certains demeureront inexpliqués, d’autres nous montreront comment nos réactions peuvent être influencées, induites, manipulées et rendues prévisibles dans nos relations avec autrui. Scènes de magie, d’illusionnisme, de voyance, de lectures et transmissions de pensée vont s’enchainer devant un public ébahi et beau joueur.  On a du mal à le croire mais il nous assure n’avoir aucun pouvoir psychique.

La vocation de magicien de l’esprit de Tahar Mansour lui est venue vers l’âge de quatorze ans.  Il a aujourd’hui une double casquette, après des études d’ingénieur diplômé de l’école Centrale de Paris, il exerce également comme consultant en communication à destination du monde du management et de l’entreprise. Il a également lancé un podcast L’art du mentaliste.

Dès l’arrivée au théâtre, chaque spectateur est invité à remplir un mini questionnaire avec son prénom et sa ville de naissance, préambule pour se laisser embarquer pour ce voyage mental et poétique d’une heure vingt. Au terme du spectacle, chacun sortira à la fois moins impressionnable, moins dupe face à la manipulation, l’hypnose, la suggestion et à la fois plus réceptif pour accueillir ce qui pourrait constituer une réponse venant de l’univers à un questionnement intérieur, à l’instar de la méthode du hasard objectif interprété subjectivement chère aux surréalistes ou de la paranoïa critique de Salvador Dali.

La mise en scène est minimaliste : cinq chaises et deux tables constituent le décor, complétée par des jeux de lumière, de la musique pour créer l’atmosphère envoutante. 

L’effet papillon est une expression, une métaphore exprimée à l’origine par le météorologue Edward Lorenz lors d’une conférence scientifique dont le titre était : « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » sur la prédictibilité. Chaque papillon est en mesure de provoquer une tornade, de l’empêcher et il est impossible d’attribuer à un seul, l’origine de ce déclenchement. Des variations infimes entre deux situations de départ peuvent conduire à des résultats très différents. L’effet papillon nous rend attentifs à l’impact de nos choix sur le résultat final de l’écriture de l’histoire, de notre vie.

Tahar Mansour s’amuse, nous amuse et nous passons avec lui un excellent moment, ludique et fascinant. Il nous éveille à ce que la rencontre avec un mentaliste, moins bien intentionné – gourou, manipulateur, meneur de foule, hypnotiseur – dans la vie quotidienne, pourrait avoir de périlleux.  

Le psychanalyste se fie à ce qui est dit par le patient et reste silencieux. Il s’efface dans la relation pour devenir une surface de projection neutre qui va permettre au patient de transférer sur l’analyste une expérience de son passé infantile, une répétition de sa relation à une imago parentale afin qu’il puisse en prendre conscience et s’en dégager. Ce que nous donne à voir ce spectacle est précisément l’inverse. Tahar Mansour utilise le hors-langage, il est le seul qui parle et il nous donne à voir comment une simple parole, une question, un geste etc. va induire, en mode quasi automatique, une réaction prévisible. Il va décortiquer sous une forme didactique la chaine de décisions que nous avons empruntée. L’analyse de nos réactions émotionnelles et de notre langage corporel nous trahit en permanence et nous rend vulnérables. Plus nous nous serons familiarisés avec notre inconscient, plus nous aurons appris à en dire moins à notre insu avec notre corps, qui trahira moins nos émotions et, ainsi, nous pourrons échapper aux dangers de la manipulation, à la prise de contrôle par un autre.

Tahar Mansour, à la toute fin du spectacle nous invite à la réceptivité face à la résonnance du monde, à savoir y lire les messages qui nous seraient adressés, les coïncidences troublantes, qui pourraient nous apporter des orientations lorsque nous sommes perdus. Notre responsabilité dans ces évènements qui, en première apparence, n’engageraient ni nos actes, ni notre volonté pourrait résulter de réactions en chaîne, d’effets papillon. Rabbi Nahman de Braslav 1Rabbi Nahman de Braslav est un rabbin (1772 – 1810) combinant les enseignements ésotériques du judaïsme avec une étude approfondie de la Torah. Il attire, encore de nos jours, de très nombreux disciples et un pèlerinage annuel sur sa tombe., recommandait à ses disciples, lorsqu’ils étaient perdus face à une situation de leur existence, de sortir, de se mettre en quête d’un signe du monde extérieur qui leur parlerait jusqu’à ce qu’ils aient le sentiment d’avoir obtenu la réponse qui leur permettrait de réintégrer le chemin de leur existence.

Magali Taïeb-Cohen

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    Rabbi Nahman de Braslav est un rabbin (1772 – 1810) combinant les enseignements ésotériques du judaïsme avec une étude approfondie de la Torah. Il attire, encore de nos jours, de très nombreux disciples et un pèlerinage annuel sur sa tombe.

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