Jules César est une tragédie entre Hamlet et Coriolan. Shakespeare y raconte la conspiration contre César, son assassinat et ses conséquences. Tandis que Nauzyciel y raconte la force édifiante et la beauté artistique du théâtre.
Rarement jouée en France, Julius Caesar reste, sur le sol américain, une des œuvres les plus emblématiques de Shakespeare. C’est à la demande de l’American Repertory Theater, reconnu pour son approche innovante, qu’Arthur Nauzyciel a orchestré cette mise en scène en 2008 1Créée en 2008, Julius Caesar s’impose comme une œuvre marquante dans le parcours de Nauzyciel et fondement de ses futures créations, marquant sa quatrième création sur le territoire des États-Unis. Cette collaboration artistique, engendrée avec des talents tels que Riccardo Hernández pour le décor, Scott Zielinski à l’éclairage et le danseur et chorégraphe Damien Jalet, s’est développée et perdure jusqu’à aujourd’hui.

Dans sa mise en scène de Julius Caesar, Arthur Nauzyciel tisse habilement des références à l’époque tumultueuse des années 1960, une période où l’image avait pris le pas sur le verbe, où les icônes avaient surgi avec une puissance telle qu’elles éclipsaient le discours. Ce choix judicieux agit comme un contrepoint et tel un piège aveuglant à la nature politique de la pièce, où le langage et la rhétorique s’érigent en pouvoir, où les mots métamorphosent le cours de l’histoire.

Sur scène, Nauzyciel réunit un trio de jazz et une troupe d’acteurs américains, dont plusieurs ont fait leurs preuves dans des séries emblématiques telles que The Wire et Six Feet Under. Sous le spectaculaire se chuchote la poésie de Shakespeare dans son authenticité originale ; le message est transmis de surcroit.
Politique et rabaissements
L’intrigue met en lumière Brutus, qui, influencé par Cassius, s’engage dans un complot pour éliminer un César perçu comme trop ambitieux. Après l’assassinat, Marc Antoine manigance ; par un discours habile, il retourne le peuple contre les conspirateurs. C’est ainsi qu’éclate une guerre civile, entraînant Brutus et Cassius vers le suicide.
La trame de cette œuvre est résolument politique ; elle est également psychologique et sociologique. Le choix artistique de Nauzyciel imagine une atmosphère de décadence joyeuse et flamboyante. La pièce scrute la manipulation politique, l’honneur et le destin. Nauzyciel épouse la vision, propre à Shakespeare, d’un mépris envers la plèbe. On y retrouve la même populace que dans Coriolan, une masse compacte et manipulable, porteuse de violences meurtrières.

Nauzyciel donne corps à cette plèbe en amalgamant le décor avec les rangées de sièges du public, nous mettant en garde. La plèbe de Nauzyciel, c’est nous, prompts à élire notre dictateur.
En face, César : sans ne rien retirer aux gloires de César ni à son intelligence, le dramaturge anglais en fait une figure paradoxale, un grand homme … en pantoufles. Il le représente comme un chef faible, craintif et vaniteux, en quête d’un pouvoir absolu, mais résolu à préserver sa vie.
Fausse joyeuseté
À travers ses choix d’interprétation et sa scénographie, Nauzyciel réinvente avec finesse le César shakespearien, naviguant entre le notable dans la cité et le bourgeois sur sa moquette. César, restant à la hauteur de son narcissisme, repousse avec dédain les avertissements du devin et les signes du ciel, révélant sa médiocrité. Quel serait son règne s’il ne parvenait à ses fins sauf à ne tolérer aucune résistance, entouré par des pleutres courtisans.

Nous découvrons ainsi que, tout comme la plèbe, Shakespeare dépeint les sombres intentions du dictateur, résonnant encore aujourd’hui avec notre réalité démocratique. Les scènes dépeignant César, ses alliés et ses ennemis sont d’un scandaleux réalisme. Cassius, sa jalousie alimentée contre César, et Brutus, le véritable cœur de la conspiration, représentent chacun une des faces du drame. Cassius sait que la révolte ne peut réussir que si Brutus s’y engage.Et circule entre les protagonistes rien d’autre que l’instinct de mort.
La troupe enfonce le clou de ce désespoir qui fait semblant de ne pas croire en lui. Mention spéciale à Daniel Pettrow qui incarne le rôle de Marc Antoine. Sa performance vectorise la dynamique et la puissance de cette adaptation.
Le somptueux de la scénographie, la puissance d’interprétation font succéder les moments de grâce et d’humour sans jamais recouvrir complétement la longue pente mélancolique vers le suicide. Rarement, nous nous sommes autant approchés de l’étrange beauté du théâtre et de l’âme shakespearienne.
Spectacle en anglais, surtitré en français
Texte : William Shakespeare
Mise en scène : Arthur Nauzyciel
Décor : Riccardo Hernández
Lumières : Scott Zielinski
Costumes : James Schuette
Son : David Remedios
Chorégraphie : Damien Jalet
Régie générale : Erik Houllier
Régie scène : Antoine Giraud-Roger
Régie lumière : Christophe Delarue
Régie son : Florent Dalmas
Habillage : Charlotte Gillard
Assistanat à la mise en scène : Constance de Saint Remy
Avec : Sara Kathryn Bakker, Neil Patrick Stewart, David Barlow, Jared Craig, Roy Faudree, Ismail ibn Conner, Isaac Josephthal, Dylan Kussman, Timothy Sekk, Mark Montgomery, Rudy Mungaray, Daniel Pettrow et Jim True-Frost
Et les musiciennes et musiciens : Marianne Solivan (chant), Eric Hofbauer (guitare) et Dmitry Ishenko (contrebasse)
/ PRODUCTION 2025 : Théâtre National de Bretagne – Centre Dramatique National (Rennes)
/ PRODUCTION 2008 : Centre Dramatique National Orléans/Loiret/Centre en partenariat avec l’American Repertory Theatre (principal mécène : Philip and Hilary Burling)
/ COPRODUCTION : Festival d’Automne à Paris, Maison des Arts de Créteil, TGP-CDN de Saint-Denis
Avec le soutien du Fonds Étant Donnés The French-American Fund for The Performing Arts, a Program of FACE
vu le 8 mars 2025.


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