Le photographe, chorégraphe et vidéaste, trait d’union entre cultures et communautés de part et d’autre de l’Atlantique, est décédé mardi à l’âge de 56 ans.
Frédéric Nauzyciel est mort le 16 décembre 2025 à Paris des suites d’une maladie. Sa disparition laisse orphelin un univers artistique qu’il avait contribué à créer : celui où se rencontrent et dialoguent des formes d’expression que tout semblait séparer. Sur scène, sous son impulsion, des danseurs de voguing de Baltimore côtoyaient des interprètes de danse baroque, des fanfares de la police nationale performaient aux côtés de membres de communautés queer, des conducteurs de métro croisaient des danseurs de baladi venus de Beyrouth.
Né à Paris en 1968, frère du metteur en scène Arthur Nauzyciel, cet artiste au parcours atypique s’était d’abord formé à la finance avant de se tourner vers la création. Auprès du chorégraphe Andy Degroat, dont il fut l’administrateur, il découvre la danse et construit progressivement un langage artistique personnel au croisement de l’image et du mouvement.
Baltimore, territoire d’exploration
C’est à partir de 2011 que Frédéric Nauzyciel engage le travail qui allait définir son art. Il se rend dans les quartiers noirs de Baltimore pour documenter, filmer et finalement co-créer avec la communauté queer locale. Le voguing devient son terrain d’exploration : cette danse née dans les quartiers noirs et latinos de Harlem dans les années 1960, bien plus qu’une pratique chorégraphique, constitue un mode de vie, un espace de résistance et d’affirmation identitaire.
Armé de son iPhone, il filme les « bals » où se défient les vogueurs dans une quête d’excellence et de reconnaissance que lui-même qualifiait de « poétique de la survie ». Pendant plusieurs années, il entretient une conversation au long cours avec Lisa Revlon, femme transgenre de Baltimore au parcours marqué par la prison. Ces échanges nourrissent sa réflexion sur les questions de genre, non pas dans leur dimension théorique mais dans leur fabrique concrète, incarnée, performée.
De cette immersion naît le Studio House of HMU, qu’il dirige, et le projet « Paris/Baltimore/Paris » qui importe en France ces esthétiques radicales et minoritaires. Dans une émission d’Aurélie Charon sur France Culture, il expliquait sa fascination pour ces espaces où l’identité se construit par le geste, où le genre s’invente « avec panache ».
Tisser l’inattendu
Le génie de Frédéric Nauzyciel résidait dans sa capacité à révéler des liens invisibles entre des univers apparemment inconciliables. Sa création Singulis et Simul, présentée en 2022, incarnait cette vision : sur scène, voguing afro-américain et danse baroque française dialoguaient autour d’une culture commune, celle du bal. Une dizaine de danseurs, chanteurs, performeurs et une fanfare composaient cette performance hors norme et festive qui réunissait ce que l’histoire et la géographie avaient séparé.
Ses films, notamment Fires Flies (2013) et La Peau vive (2017), plongeaient le spectateur dans ces mondes parallèles mais bien réels des ghettos américains, restituant l’intensité de ces moments où les danseurs « donnent leur vie » pour devenir « légendaires ».
Lauréat de la Villa Médicis, Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres, Frédéric Nauzyciel a présenté son travail aussi bien au Centre Pompidou qu’au Hirshhorn Museum de Washington, au Festival d’Avignon comme aux Rencontres d’Arles. Il a été artiste en résidence en Seine-Saint-Denis, au Centre National de la Danse à Pantin et dans plusieurs institutions françaises et internationales.

Sa mort provoque une onde de choc dans le milieu de l’art en France et aux États-Unis. Sur les réseaux sociaux, artistes et danseurs saluent celui qui avait ouvert des espaces de célébration où chacun pouvait affirmer sa singularité, celui qui avait su construire des ponts là où d’autres ne voyaient que des fossés. Avec Frédéric Nauzyciel disparaît un passeur rare, qui croyait aux communautés éphémères et à la puissance transformatrice de la performance.



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