QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF
de Edward Albee
Mise en scène Panchika Velez
Edward Albee avait envisagé d’intituler la pièce « exorcisme », c’est le titre du troisième et dernier acte de ce combat mythique, de cette traversée ultime d’un couple aux tréfonds de ses enfers. Et la ligne de force, l’aboutissement de ce texte machiavéliquement charnel et intelligent, est pour moi son dénouement apaisé,
libérateur. L’issue de cette corrida, les morts symboliques qu’elle engendre permet aux quatre personnages d’absorber de la vie. Même si c’est au prix de la vérité affrontée pour le jeune couple, même si c’est en payant la reconnaissance de la peur pour le couple mûr, meneur du jeu.
La partition se joue comme un éclatement de plaques tectoniques. Le contexte temporel se situe à la lisière des années soixante-dix, il induit une esthétique qui se mêle à l’esprit du texte inscrit dans un milieu moyen-bourgeois-universitaire américain. Si l’espace scénographique est réaliste, il est théâtralisé de façon à
tendre la toile de fond d’une histoire universelle. L’essence même du spectacle se décline par le fil tendu sur lequel les personnages avancent comme sur une piste.
Les cahots, les chutes, l’odeur de sang, de sueur, de sexe, les vapeurs de l’alcool, et les accalmies provisoires rythment le parcours de ces animaux humains. Plus que la psyché, c’est le corps qui lâche ou qui retient, mais sans complaisance, à l’os, pour transmettre au public l’humour ravageur d’Albee au noyau de la tragédie existentielle qu’il nous offre.
Lors de cette nuit blanche les deux couples vont frotter leur inquiétude dans une partition ni tout à fait mondaine ni tout à fait partie fine. Chacun boira plus que raisonnable et mettra en contraste l’idée qu’il se fait du couple. Le titre de la pièce rappelle et prépare le leitmotiv chanté sur l’air du Qui a peur du grand méchant loupde Walt Disney par les personnages de cette soirée faussement enfantine .
Chez Velez, tout commence comme du boulevard. Mais lentement sous l’effet combiné de l’alcool et du jeune couple, catalyseur et miroir déformant, Marha et Georges vont précipiter une rupture fondamentale dans l’économie de leur couple. Le point de fusion passera d’abord inaperçu pour ensuite faire son oeuvre clandestinement jusqu’à l’issue. Panchika Velez nous installe devant une pièce d’aspect anodine pour nous transporter en douceur, mais avec efficacité vers ce qui va apparaître comme un exercice brutal mais plein d’espoir d’exorcisme de démons conjugaux. Le texte est puissant. Il traverse les questions du mariage, du couple, de l’hystérie, de la mascarade sociale, de la perversion, du narcissisme. Son choix d’une mise en scène discrète et de motifs scéniques épurés fait la part belle à l’interprétation des comédiens qui seuls durant deux heures haletantes soutiennent leur personnage et orchestrent la descente vers le chaos.
A l’issue de la représentation David Rofé-Sarfati animera un bord de scène en présence de Panchika Velez. La réservation se fait par téléphone en indiquant L’autre Scène au théâtre 0145454977. Le tarif est de 18 euro.
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Métro : Porte de Vanves, bus : 58 et 95, tramway T3 : Didot, vélib face au théâtre, autolib à 100m, stationnement facile.