[Intervention faite avec l’autorisation de la patiente et tous nos remerciements pour son accord et son engagement à interroger ensemble les choses pour, peut-être, collectivement et individuellement un jour, s’en extraire et laisser la place à la capacité d’aimer et d’être aimé dans l’affirmation de l’intégrité singulière de chacun.]
– Je suis une armure vide. Un corps anesthésié mais le cerveau fonctionne encore. Aux aguets effrayant de vigilance. Cette après-midi quand Hijlif m’a agressée et que je me suis défendue, j’ai éprouvé du plaisir. Un grand plaisir à le faire reculer en pointant sur lui un couteau. Et si c’était moi cette femme-là ? Si j’étais en train de devenir folle. »
Isabelle Hupert – Alice in Sans queue ni tête de Jeanne Labrune
Ma question est la suivante, elle s’adresse particulièrement à Igor, fils ainé de Grisélidis, mais aussi à Sonia et à Françoise. Elle part de la clinique c’est-à-dire de l’expérience vécue.
En séance, dans le cadre de mon cabinet, une femme me dit « je suis une fille de pute. Ma mère était une pute et mon père était son mac. » Puis elle ajoute, « Etymologiquement, ça vient d’où cette expression « fils de pute ? » Sa question se situe au-delà du fantasme féminin de prostitution. Elle est une enfant de putain, une fille de pute, et c’est cela qu’elle interroge. Elle dit que, partant de là, du fait d’être une fille de pute, comment pourrait elle être non seulement une femme mais aussi une mère ? Dans l’articulation avec Grisélidis, la question de la transmission de la liberté, ie de l’être Sujet, de femme en femme et de mère en fille se pose aussi dans ces mots-là : « Vous voyez, je ne suis pas faite pour ça et si je n’avais pas d’enfants, je volerais, je mendierais plutôt pour vivre. Voilà la vérité, la vraie vérité, et tous les maquillages, les coiffures et les sourires peints n’y changent rien.’
La question du père, bien entendu, est présente dans l’interrogation de ma patiente quant à son devenir femme, quant à son devenir mère, et cela d’autant plus lorsqu’elle dira « un jour, alors que je rentrais chez moi assez tranquillement, j’ai croisé mon père dans la rue. Je ne l’avais pas vu depuis l’âge de 6 ans. J’en avais 30. Il était avec un de ses amis. […] Il a eu un étrange trait d’humour je crois. Il a dit à son ami « Elle fait le trottoir, comme sa mère. [ Silence ] J’étais abasourdie. Bien sûr, je suis morte encore une fois sous l’humiliation de nouveau jaillissante face au sadisme triomphant de ce père-là. Bien sûr. [ Silence ] Mais je n’ai pas pleuré. Pas cette fois. Pas devant lui. [ Silence ] »
« Faire le trottoir » se traduit par « marcher sur le trait » en allemand, Auf den Strich gehen. La question du trait unaire, du signifiant maître, du signifiant radical qui supporte autant l’identité que la différence, en tant que l’identification au signifiant détermine le sujet ; celui qui parle, le sujet après le stade du miroir, s’infiltre ici bel et bien.
*Intervention de Marianne Carabin dans le cadre de la rencontre – débat d’après Grisélidis, 31 mai 2014.