Orchestre Titanic d’Hristo Boytchev,
Mise en scène de Philippe Lanton avec la Compagnie Le Cartel*
Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie du 10 janvier au 5 février 2017
Et le 14 Mars au Théâtre Jean Vilar de Suresnes
Le train du désir
Ecrit par Aurore Jesset**
Trois hommes et une femme se trouvent ensemble dans leur solitude respective.
Comme dans l’orchestre et le naufrage, ils forment un collectif et pourtant chacun est seul face à l’enjeu. Orchestre Titanic, pièce écrite en 2002 par Hristo Boytchev s’inscrit pour la première fois en France dans une programmation de 26 représentations en un lieu aussi emblématique que La Cartoucherie profitant ainsi à un large public et à la curiosité d’une presse avisée. La richesse de la pièce dont l’étonnant cocktail burlesque et philosophique crée un univers peu banal qui interpelle le spectateur. Et la mise en scène de Philippe Lanton avec la Compagnie Le Cartel honore avec finesse la force d’une œuvre à découvrir ou à redécouvrir.
Le rideau se lève sur une gare désaffectée. Entre deux coups à boire, quatre complices déambulent d’un abri toilé de fortune au quai désert, d’une attente à une autre. Ils ont en commun, la perte, le fracas du réel. La désillusion les a catapultés dans un quotidien marginal. Ensemble, ils cultivent l’espoir, celui de voir un train s’arrêter, mais le même scénario se répète.
Art comtemporain, Artiste non identifié
L’auteur Bulgare écrivit la pièce lors de la demande de la Bulgarie d’intégrer l’Europe. Elle y rentrera officiellement en 2007. Depuis, le bilan est bien décevant par trop peu de changements dans la vie des bulgares. Le texte de Boytchev prend sa dimension dans un regard géopolitique, psycho-social, et existentiel mêlant à la lucidité, un humour généreux au service de l’absurde.
Sur scène, le rêve n’est plus une issue tant il se fige par la répétition d’une attente vaine. Au-delà de l’individu, Orchestre Titanic nous parle d’un pays et de son rapport au monde.
Ici devant nous, ils sont quatre jusqu’à l’arrivée d’un cinquième, débarqué brutalement d’un train en marche. Suscitant d’abord défiance et méfiance, il insuffle ensuite un renouveau déterminant.
Photo de la pièce Patrick Berger
L’interprétation des comédiens, Bernard Bloch, Olivier Cruveiller, Philippe Dormoy, Christian Pageault et Evelyne Pelletier est remarquable. Une proximité se crée entre les personnages et le public. Nous voilà même séduits comme eux, par l’intrus devenant peu à peu familier.
Il propose à chacun d’y croire, de se le représenter ce train qui s’arrête et d’y monter. La référence à Houdini est suggérée par le prénom du personnage et par le questionnement de la limite entre imaginaire et la réalité. Les résistances des quatre compères se manifestent, puis la rêverie devient délicieuse. Les voici en route dans le wagon. Grâce à lui, les voyageurs immobiles se mettent à circuler à l’intérieur d’eux-mêmes par ce qu’il interroge crucialement. La répétition mortifère du même scénario s’interrompt et le paysage se modifie soudainement. Voici donc l’au-delà de l’enfouissement de soi dans la perte, le train, pas n’importe lequel, celui du désir.
L’affaire est troublante, ce passage de l’immobilité aux multiples aiguillages requiert un accompagnement. La rencontre a désormais lieu entre chacun d’eux et l’étonnant faiseur de possibles. De l’expérience psychanalytique à leur insu ? Quelque chose se produit du côté de la subjectivation et change radicalement leur destinée respective. Choisir, renoncer, apparaissent comme une nouvelle évidence. Ainsi, disparaitre ou bien confirmer la permanence d’être devient un enjeu pris dans l’altérité, car c’est toujours par rapport à un autre que le sujet se révèle, s’efface ou se positionne.
A la fin de la pièce, seul un personnage reste. Aurait-il éliminé tous ses petits autres imaginaires comme autant de résistances au franchissement de la perte ? Face à sa solitude, le voilà prêt à assumer sa propre incomplétude.
Orchestre Titanic de Hristo Boytchev n’est pas sans évoquer la célèbre œuvre de Beckett « En attendant Godot » par sa dimension absurde. Cependant, une différence notable distingue les deux pièces. Dans Beckett, Vladimir et Estragon attendent vainement le changement de l’extérieur. Ici avec Boytchev, les personnages trouvent l’issue en eux-mêmes, dans leurs ressources les plus intimes. En cela, loin de la note pessimiste et tragique de « En attendant Godot », la tonalité d’Orchestre Titanic est plutôt optimiste par le dépassement de la répétition et de la pulsion de mort.
Finalement, ici la pulsion de vie supplante le caractère fantomatique de la pièce donné aussi par le titre. L’orchestre du bateau historique, Le Titanic coulé en 1912, ne continue-t-il pas à murmurer sa mélodie comme la trace d’une tragédie, autant que l’épave l’est du naufrage ? Le message d’espoir d’Orchestre Titanic émerge comme la lumière d’un cheminement individuel, mais aussi d’une posture politique dans le projet européen.
Le désir apparait comme la résistance la plus sûre aux assauts existentiels et géopolitiques. Hristo Boytchev nous renvoie ainsi par son œuvre à l’adage célèbre de Saint-Exupéry décloisonnant rêve et réalité invitant à « faire de sa vie, un rêve et d’un rêve une réalité ». La pulsion de vie tricote entre les deux pour nous maintenir à flot, même dans les pires tempêtes. Le théâtre y participe, comme l’initiative audacieuse et réussie de Philippe Lanton et de la Compagnie Le Cartel, dans leur invitation à voyager avec Orchestre Titanic où le vent de notre propre histoire nous mène. D’une ondulation à l’autre, entre légèreté et gravité, certains y verront l’annonce d’un nouvel horizon.
*scénographie et lumière Yves Collet,
collaboration lumière Christelle Toussine, construction du décor Franck Lagaroje
assistante mise en scène Emilie Prévosteau, son Thomas Carpentier, costumes Raffaëlle Bloch, conseiller illusion Nicolas Hédouin
avec Bernard Bloch, Olivier Cruveiller, Philippe Dormoy, Christian Pageault, Evelyne Pelletier
**Psychanalyste, ses articles sur Les Arts et des Mots http://www.aurorejesset.net/
En italique concepts psychanalytiques
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