Le Don Carlos à Bastille cette saison est un événement pour sa singularité, car le livret choisi est l’original en français, que pas moins de cinq vedettes internationales défendent la proposition et que Krystof Warlikowski a une vision très personnelle.
Une magnifique affiche avec cinq vedettes.
Le nouveau Don Carlos à la Bastille est avant tout une affiche. À l’instar du Marchand de Venise et de son Shylock, le Don Carlos de Verdi est l’histoire de son Rodrigue. La vedette de la soirée est définitivement Ludovic Tézier qui repart avec les plus fournis applaudissements, suivi de près par la divine Elina Garanca, puis par la magnifique Sonya Yoncheva ; Jonas Kaufmann et enfin le chef d’orchestre Philippe Jordan ferment la marche.
Ludovic Tézier nous saisit dans son interprétation de la mort de Rodrigue saluée par l’une des bruyantes ovations de la soirée. Elina Garança pousse le personnage d’Eboli et défend admirablement son personnage lyriquement et dramatiquement. Jonas Kaufmann travaille un Don Carlos puissant cependant que secrètement mélancolique.
La version choisie est le livret original en français, sans les coupes effectuées par Verdi lui-même Du coup l’intrigue gagne en cohérence et en force littéraire. Les chanteurs-comédiens, bravo à la direction d’acteurs, honorent le texte et son esprit. À la direction musicale, Philippe Jordan dirige sans faiblir, en retenue tout en insufflant les contrastes et les ambiguïtés de l’intrigue que l’orchestre aide à émerger plus qu’il ne l’accompagne.
Une écriture scénique audacieuse, mais déconcertante.
C’est certainement à la réalisation musicale que l’on doit de traverser les trois heures quarante-cinq avec plaisir. La mise en scène est très audacieuse. Elle n’accompagne pas l’intrigue, mais cherche à la décaler sans cesse. Car le propos de Krzysztof Warlikowski est de nous donner à voir un héros malgré lui, un personnage égaré et désincarné au milieu de personnages avatar sans affects ni troubles.
Au premier acte, une statue standardisée d’un cheval l’annonce, il sera refusée toute sensualité, toute érotisation ou tension sexuelle à ce Don Carlos là. Plus tard, la violence est figurée par une scène d’escrime avec masques et fleurets émoussés, on ne se touche dans le Don Carlos de Warlikowski sauf de loin. Plus tard encore l’inquisiteur fera son office dans le lobby normalisé d’un hôtel sans âme. Même la scène du couronnement et de l’autodafé bien que juste s’interdit de communiquer une tension et si les masques tombent les uns après les autres, c’est étayé par une vidéo longue, trop longue d’un Saturne caricaturé dévorant l’un de ses enfants, et qui ne nous effraye pas. Il nous manque la corporalité. L’audace de vider, de vidanger du biais passionnel et sexuel l’intrigue du Don Carlos de Verdi créé un objet intéressant, bien que très éloigné de la première lecture de l’oeuvre et il nous reste difficile de se soumettre, impatients, à cette vision froide de la plus shakespearienne des œuvres de Verdi.
Restent Ludovic Tézier, Elina Garanca, Sonya Yoncheva, Jonas Kaufmann et Philippe Jordan si talentueux et qui parce qu’ils pourchassent l’épaisseur instinctuelle qui manque à la mise en scène méritent notre venue.
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors Magorzata Szcaniak
Lumières Felice Ross
Philippe II Ildar Abdrazakov
Don Carlos Jonas Kaufmann
Rodrigue Ludovic Tézier
Le grand inquisiteur Dmitry Belossekskiy
Élisabeth de Valois Sonya Yoncheva
La princesse Eboli Elina Garanca
Thibault Eve-Maud Hubeaux
Choeurs de l’Opéra National de Paris
Chef de choeur José Luis Basso
Orchestre de l’Opéra National de Paris.
Direction Musicale Philippe Jordan
Photo : Agathe Poupeney
Paris, Opera Bastille, représentation du Samedi 28 octobre 2017, 18h00