Jean Francois Viot a rassemblé quelques une des dix milliards de lettres échangées durant la Grande Guerre pour composer un récit épistolaire émouvant et poétique au sein duquel s’enchâsse une réflexion universelle qui s’enfonce dans notre modernité. La mise en scène par Yves Beaunesne au Théâtre de l’Atalante honore ce joli mariage.
Leçon d’histoire épistolaire.
Un homme, sur un fauteuil se (re?)plonge dans la lecture d’un recueil de lettres. Au fond du plateau une structure à l’aspect d’une verrière verticale délimite le hors champ. Ce hors champ sera le hors front, ce front avec ses tranchées de cette Grande Guerre qui fut une hécatombe. Derrière cette verrière apparaîtront le calme et la fausse sérénité des familles attendant le retour des hommes. Sur cette même verrière le soldat dessinera pour sa famille le non dicible. La belle scénographie réussit son coup d’embrasser dans un même geste les deux bouts d’un même lien. Le récit par sa forme épistolaire raconte les événements. Début août 1914, Jean Martin, l’instituteur d’un petit village auvergnat, doit partir à la guerre. Il quitte son épouse et ses deux enfants. Il retrouve à la caserne des amis et il racontera dans les Lettres à Élise leur histoire, leurs combats, le comique et le tragique du front, la camaraderie des soldats et la géopolitique du conflit, l’épisode du Noël partagé avec les boches, les morts, les gueules cassés, et toujours le désespoir mêlée de tendresse.
Une réflexion sur l’amour et son ratage.
À arpenter les poncifs, la pièce présente une image d’Épinal et scolaire de ce traumatisme national, de cette guerre grosse de l’idée vertueuse de la construction européenne. Car la pièce pourchasse un autre but. Elle parle du lien, par les deux bouts. Elle est une construction analogique de ce que tricotent les amours à l’époque du virtuel, de ce qui advient de ces amours contrariées par l’éloignement; au loin ce qui construit nos vies amoureuses et qui s’appelle ferveur, fantaisies, fantasmes, résignation, espoirs, joie, détestation, mais aussi le pitoyable des relations entre les êtres qui paraissent fonctionner mais qui ratent si souvent. La pièce parle de ce qui occupera chacun de nous encore longtemps. La pièce est jouée par Elie Triffault qui défend avec brio le personnage de cet homme qui saura tout affronter enfin quasiment… , et Lou Chauvain incarne cette épouse poignante qui apprendra à se révéler durant l’épreuve. Les deux comédiens interprètent avec talent les mutations de leur personnage; ce qui finit de transformer ce double drame historique et familial en un merveilleux moment de théâtre.
Lettres à Elise
De Jean-François Viot,
mise en scène Yves Beaunesne.
Avec Lou Chauvain, Elie Triffault.
A l’Atalante
26 quai de la Marne 75019 Paris
Jusqu’au 14 Avril
Crédits Photos © Guy Delahaye
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