Le Pays Lointain est la dernière pièce de Jean Luc Lagarce, écrite quelques semaines avant sa mort en septembre 1995. Clément Hervieu-Léger s’en empare pour vérifier l’actualité des thèmes propres à l’auteur qui nous a quitté trop tôt.
Le Pays Lointain fut la dernière pièce de Jean Luc Lagarce, malade du sida, terminée quelques jours avant sa mort. Une fois encore l’auteur ronge ses thèmes de prédilection, la mort et l’abandon avec une acuité d’autant plus aiguisée et une plume bestiale. Le trait est sombre et tragique. Le retour de l’enfant prodige parmi les siens sous forme de spectre produit un univers imaginaire et furieusement littéraire confondant présent et passé, univers habité par les morts et les vivants. Avec au centre l’egocentré et impossible Louis radicalement mélancolique et fâché contre sa vie son destin et les autres. Dans ce pays lointain, lieu d’origine de l’enfant devenu adulte et de son imaginaire se croisent la mère, le père, le frère, la sœur et la belle sœur, et les amis, et aussi les amours variées et brèves d’un Louis lutin asticotant sans répit les affects de chacun.
Clément Hervieu-Leger brille par sa direction d’acteurs. Chacun est excellent de vérité et d’authenticité. En particulier, Loic Corbery crée un très juste Louis/Lagarce; il sait alternativement nous séduire et nous agacer. Nada Strancar la mère colonise l’espace. Vincent Dissez est, comme à chaque fois, magique. Le propos, stigmate de l’angoisse profonde de l’auteur se perd sans jamais vouloir atteindre son but. Les personnages reprennent ce qu’ils viennent de dire en le modifiant, en l’amendant sans cesse pour préciser les choses. Mais le texte devient de plus en plus flou. Le verbe est à l’honneur tournant le dos à toute action.
Cette non-action se déroule sur un parking d’immeuble, décor réaliste et poignant. La plume de Lagarce est celle d’un séducteur anxieux, le récitatif boucle pour ne rien dire sauf la difficulté à dire justement. La deuxième partie remue nos sens et nos émois alors que la première parte n’est que l’itératif de ce ratage. On s’ennuierait un peu si nous n’étions pas au spectacle de talentueux comédiens, qui nous dédommagent de cette plongée aqueuse dans le eros et thanatos lagarcien.
Le Pays Lointain
de Jean Luc Lagarce
mise en scène Clèment Hervieu-Léger
du 15 Mars au 7 avril
Odeon Théâtre de l’Europe
durée 4H00 dont entracte
Crédits Photos © Jean Louis Fernandez