Le devoir de mémoire ne semble jamais se dissoudre car partout, de nouveaux populismes trempés dans l’antisémitisme, de gauche comme de droite, émergent. La souffrance aussi n’aura jamais de fin. La pièce Le Corbeau Blanc est captivante, elle est une gifle donnée à nos esprits endormis.
William Mesguich signe la mise en scène de la première adaptation française du texte de Donald Freed. Le texte fut traduit par la comédienne Nadège Perrier qui l’interprète avec Hervé Van Der Meulen. La pièce est ainsi la rencontre de grands talents qui sans pathos, combines ou effets de manche, aborde la catastrophe. Le texte refuse les atermoiements faciles. Les comédiens interprètent merveilleusement l’équivoque de la situation et nous posent la question: peut-on pardonner à celui qui fut un monstre ?
Été 1960. Adolf Eichmann est détenu à Jérusalem après son kidnapping en Argentine par le Mossad. À travers la confrontation entre l’ancien nazi et une psychologue israélienne, la pièce explore avec justesse les mécanismes qui ont abouti à la Shoah, tout en interrogeant notre capacité de résistance à la barbarie. Au-delà de la personne de Eichmann il s’agit d’une parabole métaphorique de la circulation des questions et réponses sans fin entre le peuple allemand et le peuple Juif, représenté ici par l’israélien. Le texte est dense et édifiant. D’Adolf Hitler à Adolf Eichmann, chacun connait son ‘ils’, pronom indéfini et accommodant des réputés vrais responsables. Chacun a son rêve enfantin de gloire. L’intelligence est de conduire un procès à décharge contre Eichmann qui s’y défausse sans cesse. Hervé Van Der Meulen, qui incarne Eichmann, est glaçant lorsqu’il avoue qu’il aurait tué son propre père si un ordre le lui avait intimé. Il est génial lorsqu’il décrit cette administration nazie qui organise la solution finale en cloisonnant la responsabilité de chaque service. Il est grandiloquent lorsqu’il refuse le procès car seul Dieu le juge, disputant ainsi au peuple juif l’élection et le statut de bouc émissaire. Il est malicieux lorsqu’il griffe la psychologue en invoquant son sentiment de culpabilité de survivant.
Le texte est un trésor. Il se clôture par la phrase terrible : « notre souffrance n’aura jamais de fin ». Il ne sera jamais possible, comme l’écrivait le psychanalyste Jean Jacques Moscovitz de « réparer l’histoire ».
Entretemps allons voir et faire voir cette pièce poignante et essentielle.
Le Corbeau Blanc
LUNA (THÉÂTRE LA)
1 rue Séverine
84000 – Avignon
Metteur en scène : William Mesguich
Interprète(s) : Nadège Perrier, Hervé Van der Meulen, Ou Alternance
©Visuel : Affiche de la pièce.