Le texte de Marius Mayenburg, brûlot contre le culte de l’apparence est un délice de cruauté. Au théâtre de Belleville Camille Jouannest épouse le trait dans une mise en scène réussie offrant à une jeune troupe l’occasion de nous prouver son talent.
Un breaking bad râpeux.
L’histoire est une satire âpre de notre société égoïste, individualiste et cyniquement marchande. Elle est aussi la parabole de nos secrets narcissismes, et en creux de nos fragilités. Alors que l’ingénieur Lette Karlmann est l’inventeur du 2CK, connecteur innovant, ce sera son collègue qui lors du prochain congrès professionnel le présentera aux futurs clients. Il s’en offusque. Mais Karlmann, il ne le sait pas encore, est écarté du congrès car il est trop moche. Révolté, et la surprise passée, il décide d’en appeler à la chirurgie esthétique. L’histoire se transforme en une fable féroce contre le conformisme, le paraître, une critique acerbe contre une société de consommation libérale où si la beauté s’achète ou se vend, l’amour se rêve complice mafieux de cette activité boutiquière là. Lentement, Karlman et chacun prés de lui sera happé par une spirale illusoire et tel narcisse se noiera dans son reflet.
Une pièce exigeante
La pièce de Mayenburg connaît deux exigences. Le texte est écrit souvent sans ruptures, les scènes se mélangent ou se succèdent sans césure. Au plateau, on passe d’un duo à un autre dans un même mouvement, parfois simultanément. Par ailleurs, la pièce décrit une pente sinueuse vers une catastrophe. Il fallait à la troupe soutenir cette spirale vers l’anéantissement tout en jonglant avec l’amalgame des scènes. Pari gagné. Hubert Girard est un Lette crédible, Jean-Frédéric Lemoues ajoute à son talent une énergie électrisante, Axelle Lerouge et Laurine Villalonga ont un pouvoir comique assuré ; ces merveilleux comédiens jouent sans jamais quitter le plateau ; ils nous emmènent joyeusement vers le chaos. Le monde loufoque et édifiant de Marius Von Mayenburg est restitué. Les rires suivent. Bravo à cette troupe à découvrir.
Au Théâtre de Belleville jusqu’au 30/12/21
Du mercredi au samedi : 21h15
Texte : Marius Von Mayenburg
Avec : Jean-Frédéric Lemoues, Hubert Girard, Axelle Lerouge, Laurine Villalonga
Mise en scène : Camille Jouannest
Visuel :© Jean-Michel Turpin