JOURS DE JOIE  d’ARNE LYGRE  (lecture, 1er septembre)

On cherche la joie dans ce texte, on a vraiment du mal à la trouver. Ce mot sonne comme une injonction à advenir, ou se répète comme un mantra, il évoque le « wishful thinking ». Mais les personnages sont-ils dupes de ce qu’ils énoncent ?? Non ! Ils jouent le jeu, plutôt que d’échanger de la parole, ils font des déclarations,  auxquelles manque l’épaisseur des vécus.

Et puis, la pièce s’ouvre sur un cimetière, pas vraiment le lieu de la joie selon le sens commun.

Après ce titre (une fake news), on est frappé par la distribution : chaque personnage a son correspondant, terme à terme (sans oublier que le frère et la sœur sont jumeaux) : UNE mère/UNE autre mère, UN voisin/UNE voisine, UN veuf/ UNE veuve,  UN orphelin de père/UNE orpheline de père, etc. Et même, c’est un comble en même temps qu’une énigme ou une piste (?): un MOI et un autre MOI ! … Mais où est le père ? Y a-t-il un père ? C’est une figure furtivement évoquée mais absente. De plus,  ces « personnages » ne sont pas prénommés,  (sauf deux d’entre eux),  ils sont désignés selon la place qu’ils occupent dans la famille ou dans l’espace. Ce qui me fait penser à Matte-Blanco et aux deux principes qui régissent l’inconscient selon sa théorisation : Principe de Symétrie et Principe de Généralisation. Ici, (et je lis cet exemple sous sa propre plume !) : « Si Marie est une mère,  l’inconscient la considèrera plus comme UNE mère que comme l’individu Marie : ce sera surtout son appartenance à la classe des mères qui sera prise en compte par lui, la classe des mères n’étant qu’un sous-ensemble de la classe des parents, etc. : un être humain, puis un animal, puis une chose vivante….Elle est incluse dans des classes de plus en plus vastes, tandis que, du côté de la conscience, on trouve l’individu Marie. » Une classe est définie par sa fonction propositionnelle, qui est ici celle de la maternité.

Pourquoi ASKLE et DAVID échappent-ils à ce parti-pris de l’auteur ? Pourquoi ont-ils le privilège d’avoir un nom, eux, une identité qui les fait exister en tant qu’individus singuliers, dotés de plus d’un MOI ? Cela doit avoir un sens, c’est énigmatique !

Un autre principe qui régit ce texte qui nous met dans l’embarras, c’est le Principe d’Incertitude. Les « évènements » successifs (ni actes, ni scènes) paraissent tous fortuits, imprévisibles. Les situations semblent improbables, aléatoires, précaires, comme les liens qui se font et se défont, subtilement ou violemment  fatalité à laquelle échappe le petit noyau familial constitué par une mère et ses enfants. Rien ne peut s’inscrire dans la durée, c’est juste « pour un moment ».

Le texte lui-même dès le début, propose plusieurs formulations d’une même pensée, les comédiens ont-ils à choisir parmi ces énoncés ? Autre question : est-ce que la pensée de la sœur va s’entendre ? Y a-t-il une voix « off » qui l’énonce?

 Bref, il a du boulot le spectateur, il lui faut être attentif et très curieux.  Si cette pièce ne nous met pas en JOIE, elle a le mérite de nous faire cogiter et c’est pas mal !

14 septembre 2022  l’avant-première

Soirée de JOIE ! bonheur de la spectatrice que je suis d’admirer l’intelligence et le brio de la mise en scène de ce texte difficile,  l’immense talent des comédiens qui réussissent à animer d’humanité et de passion des personnages présentés comme prototypiques, même quand ils s’expriment en style indirect ! Toute la magie du théâtre qui transforme un texte en spectacle, qui parvient à le recréer l BRAVO !

Aviva COHEN

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