Au bord , le débat. verbatim

Mille merci à Claudine Galea et à Marine Gesbert de s’être prétées à notre débat. Merci à tous ceux qui nous ont  rejoint pour le débat. Et à Flavie Fontaine du théâtre de la Flèche. J’ai ajouté des photos des oeuvres de Simon Hantai. (prochain et dernier bord plateau de la saison le 17 juin à l’Atelier avec Pinter et Lagarde)

 

DRS il y a tellement de choses à dire sur cette pièce que je ne peux pas tout dire, par définition. Donc, je vais dire juste les choses qui pour moi sont importantes au premier degré. Pour quelqu’un comme moi qui voit beaucoup, beaucoup de pièces de théâtre, même parfois trop, c’est que la plupart des pièces de théâtre, on repère assez vite, parce que c’est l’ère du temps, parce que les pièces sont écrites souvent comme ça, on repère assez vite les enjeux. On voit tout de suite un petit peu l’équation. Nous les psychanalystes, on sait ce que c’est l’ambivalence, on sait très bien ce que veut dire eros/thanatos, la pulsion de vie, la pulsion du mort, tout cela on le trouve dans cette pièce. Sauf que, il y a quelque chose qui me semble en plus sous la plume de Claudine Galea, c’est qu’à un moment donné, on ne sait plus où on en est. On ne sait plus si on a affaire à une identification au bourreau, une identification à l’agresseur ou à l’agressé, on ne sait plus si on a affaire à une séparation avec l’agresseur. À un moment donné, l’héroïne ne prend pas le parti  de nous confondre, mais prend le parti de n’être à aucune position par rapport à cette attraction/fascination et en même temps révulsion de cette femme. Deuxième chose : La mécanique du je pense, je pense, je pense, je pense, je pense, permet un non-recrutement de nos jugements. C’est que la pièce est une sorte de confession. Une forme de confession, une forme d’aveu, sauf que jamais le public n’est en position de devoir se poser la question comment juger cette confession. Jamais on est dans une situation,  où on a besoin de dire le mal, le bien. Alors, par rapport à ça, je voudrais déjà poser ma première question à Claudine, est-ce que tout ça est un fait exprès, y a-t-il chez toi une volonté non pas de nous embrouiller, mais simplement au contraire de ne jamais nous saisir, de nous donner à penser et de ne jamais nous dire voilà ça c’est bien ça c’est mal. Ma question au fond concerne la construction du récit.

Claudine Galea  Bonsoir et merci pour ce débat. Je ne suis pas habituée à parler devant des psychanalystes. (rires) Alors, d’abord, il n’y a pas de volonté d’exprimer quelque chose, il y a une nécessité, ce qui n’est pas la même chose. La volonté, c’est le pire ennemi de la création. Quand on est jeune, on a de la volonté. Et au fur et à mesure des années, la volonté heureusement s’en va pour laisser arriver les choses. Ce qui n’est pas du tout la même approche. La volonté ca serait de pouvoir dominer son sujet son son texte, pouvoir arriver à quelque chose, avoir un but, quelque part donc la volonté a à voir avec le savoir. Quand j’écris je ne sais pas.

Et cette image-là effectivement m’a arrêté, c’est ce que je raconte, le processus est dans mon texte lui-même. C’est vrai que normalement, je ne réussissais pas à trouver comment écrire ce que je voulais écrire. Je ne travaille pas sur le bien et le mal. Encore moins sur le bien ou le mal. Je suis l’ennemi du ou bien ou bien. En cela le travail de Didier B m’est extrémement précieux. Le bien et le mal, c’est le jugement, justement. Je travaille sur le mal. Et non sur une partition dualiste du monde. La création, c’est tout sauf un dualisme, c’est tout sauf choisir entre ça et ça. On nous oblige à choisir entre ça et ça. Or créer c’est outrepasser cela. Voilà, donc effectivement, le mal c’est une chose qui m’intéresse. Pas seulement dans au Bord, c’est dans d’autres textes.

DRS L’idée donc pour toi, c’est d’éviter absolument que ce soit une sorte de leçon morale, de manifeste ou de…

CG Un théâtre didactique ? Enfin, je suis spectatrice, je ne suis pas simplement autrice. J’ai mis un peu de temps dans ma vie à comprendre -très tôt, j’ai vu du théâtre, j’ai été critique de théâtre- j’ai compris qu’un spectacle qui apporte des réponses laissait moins de traces qu’un spectacle qui n’apporte pas de réponse. On appelle le théâtre fermé – théâtre ouvert. Donc, le didactisme. Dans ce texte-là, Au bord, c’est le contraire de ce que je vais fouiller. Apporter des réponses, c’est fermer quelque chose. Ce n’est pas une position volontaire de ma part. C’est l’expérience et les années qui m’ont convaincue.

DRS : Mais il s’est bien passé un moment où devant la photo de cette soldate américaine, tu t’es refusé à juger, à porter un jugement..

CG Je n’ai jamais jugé ; ça m’a interrogée, voilà, ça m’a tout interrogée profondément. Ce qui m’a interrogée, Ce qui m a interessée c’est  ma propre fascination par rapport à l’image. Alors, la seule chose  de l’ordre plus politique des choses, c’est que je me suis dit tout de suite, de toute façon, tout ça va être remplacé en horreur et en images encore plus horribles dans les mois qui vont venir, parce que le monde est fait comme ca. Évidemment j’ai regardé tout le corpus des images de torture de Abou Graib et je me suis dit c’est dingue, tout ça va disparaître aussi sec , remplacé par d’autres images encore plus horribles. Donc ça on va dire que c’est du domaine de la pensée politique, mais aussi d’un texte. Mais le jugement, non, je n’en avais pas. Je sentais qu’il y avait une attraction répulsion, et c’est ça que j’ai eu envie d’interroger.

DRS habitués au photos d’horreur, oui, cette photo celle la  est quand même, elle est en rupture avec tout ce qu’on a l’habitude de voir, il me semble.

CG  Disons que la désinvolture de la posture et le fait qu’elle se soit prise, Lynndie England comme on pose dans une photo de vacances, en bonne vue, une photo de plage, cette désinvolture-là, elle est inconnue. Elle est impressionnante, impressionnante ! parce qu’on se demande ce qui se passe du réel à la pensée ? Qu’est-ce qui passe… Voilà, c’est un sacré vertige, c’est un sacré trouble, c’est évident.

DRS C’est que le trouble, dans la pièce, on ne peut le dissoudre ?

CG Non, je ne pense pas, je pense qu’après, je sais très bien où je suis par rapport à ça. Oui la soldate est un monstre, bien sûr. Après, l’attraction que cette photo peut produire et qui touche à notre sens profondément au sexuel, qui est évidemment extrêmement tabou ; c’est très tabou ça, cette photographie, c’est une photographie qui touche à l’intime et au regard sexuel. Quand j’ai pris la mesure de ça, je savais que c’était dangereux, que c’était risqué d’aller là, mais c’est ça qui m’intéresse quand j’écris. Ce qui m’intéresse quand j’écris, c’est d’aller là où ce n’est pas simple, simpliste ou évident où c’est risqué, où c’est dangereux, où c’est glissant, où sont nos frontières de nous-mêmes, où sont les endroits avoués et les endroits tus. Et là cette image, elle était saissiannate de ce point de vue. Parce qu’elle a pris à la fois un imaginaire extrêmement violent, un imaginaire politique, un imaginaire sexuel, donc un imaginaire très intime. Voilà, donc ça met des endroits… mais tout ça, c’est ce qu’on analyse après coup. Quand j’ai vu cette image, je l’ai mise sur mon mur, et j’ai su que quelque chose : que j’avais à raconter quelque chose avec ça, mais je ne savais pas quoi. Après coup, on peut analyser les choses, comprendre, etc. Mais quand on écrit on écrit avec l’émotion et la pensée. Oui, mais…

Aviva Cohen  On écrit avec le sens de la nécessité d’écrire ?

CG C’est ça? C’est de la nécessité de la synthèse. Ca s’impose.

DRS Pour ce qui est de l’imaginaire, il y a aussi l’imaginaire infantile. Parce qu’à un moment donné, il y a une boucle dans son discours de femme, c’est aussi un enfant. Elle peut prendre à un moment donné la photo comme celle d’un jeu enfantin et innocent

CG Alors je dirais que ça, c’est peut-être donné par l’interprétation de Marine. Après dans son texte, c’est une chose qui en entraine une autre, par association, par capillarité, par… Moi je dis, quand j’écris, je déplie. Quand vous pensez à la peinture de Simon Hantai.

DRS C’est la pliure en fait. Et on est tout le temps dans la pliure, du début jusqu’à la fin de la représentation. On est dans une pliure. Pusique on compare à l’interprétation de Cécile Brune mis en scène par Stanislas Nordey à la Colline, effectivement il y a quelque chose de plus infantile, quelque chose d’un jeu innocent qu’on n’avait pas avec Cécile Brune. J’aimrais bien que vous réagissiez sur  la scénographie qui veut que le personnage soit là, presque parmi nous. Ca ajoute définitivement un des attributs du texte ; elle vient rendre compte de quelque chose, elle vient avouer quelque chose mais c’est un aveu qui, comme je disais tout à l’heure, avec ce système de je pense, je pense – mais il y a certainement d’autres mécanismes en marche-   qui fait que nous on se sent pas assez concerné pour juger cette personne, donc il y a quelque chose vraiment de mise à nu de la personne devant nous que l’on accueille, sans juger. D’où la question d’Aviva, c’est que, oui, comment, qu’est-ce qui se passe chez la comédienne, et qu’est-ce qui se passe chez l’autrice, avant, pour, qu’est-ce qui se passe, en fait, comme dit Aviva, pourquoi.  Pourquoi ce besoin là, devant cette photo, d’écrire ça? Ca a ete un travail très élaboré.

AC 39 fois!

DRS Et si j’ai bien compris le travail de Marine Gesbert, ça n’a pas été non plus un spontané

MG Ça commence en 2006.

DRS Oui, c’est-à-dire qu’on est six ans après le début de l’envie, de l’idée de monter la pièce. Donc c’est pas un truc… On n’est pas  dans la spontanéité. C’est de l’élaboration. Pourquoi on se met en tension comme ça?

MG Je ne sais pas, avant de commencer chaque représentation, c’est ce que je me demande. J’ai découvert ce texte de Claudine au  Théâtre National de Strasbourg, c’est un début texte de Gaudine étaient proposés J’ai présenté le texte des Je Pense ;  je trouvais ça absolument sublime et en même temps je me disais c’est trop génial de pouvoir dire je pense à un concours donc je suis aussi quoi il n’y a pas de frontières c’est une façon de se présenter bien sûr il y a des choses qui.. Je ne suis pas Claudine, et il y a des choses du texte qui m’étaient aux noms familiers, mais après, je ne sais pas, j’ai trouvé ce texte absolument sublime, et très vite, je l’ai commandé, parce que je n’avais que la dernière partie. Et puis après, quand je l’ai découvert, je me suis dit, ah ouais, waouh! Il y avait cette même chose sublime, et j’avais tout le processus, donc cette image, le processus d’écriture, donc j’ai compris le texte. Et puis, voilà, et ce texte, j’ai experimenté avec le TNS, j’ai été recalée. Mais je l’ai toujours gardé près de moi. Je… Il y a beaucoup de choses dans le texte. C’est un texte que j’aime beaucoup, donc on le lit, on le relit, on a… On a envie de dire des choses, raconter des choses avec, et on a envie de comprendre les endroits aussi qu’on ne comprend pas, et en même temps les endroits qu’on ne comprend pas. Parfois on les laisse comme ça vivre et voir à quel moment on les comprendra ou à quelle lecture. Puis après au conservatoire, il y a eu un espace de travail pour ça, il y a l’espace des inpromptus. Donc moi j’ai décidé de faire un impromptus en montant la dernière partie, les je pense.  Et voilà, et après il y a eu cette première étape de travail qui n’était plus dans ma chambre, qui était vraiment pour des gens, avec Christophe, qui était mon professeur que j’ai sollicité pour m’aider. Et après, il y a eu l’espace de carte blanche quelques mois plus tard, l’année d’après, c’était juin 2019, en octobre 2019, une semaine de création avec cette fois l’entièreité du texte. Je voulais le traverser, et je sais pas, il y avait aussi une urgence à créer, à aller au bout de ce geste et à traverser toute cette langue et il y avait vraiment… C’était important pour moi de le faire. Et après, quand je suis sortie du conservatoire, c’est pareil, c’était évident que j’allais me battre, ça fait un peu aussi ça, mais en tout cas que j’allais travailler pour… pour que Au Bord rencontre le public, pour moi rencontrer le public avec Au bord, pour faire entendre cette langue, voilà c’était mon projet, mon désir.

DRS Je voudrais ajouter un truc là, parce tu viens te dire je pense. Alors, quand un de nos patients dit je pense sur le divan, il a les chocottes, c’est défensif. Alors que là, les  je pense  du texte de Claudine Galléa, c’est vraiment un quant à soi qui nous soulage, qui nous libère de la question de « qu’est-ce qu’on en pense? », nous les lecteurs, nous les spectateurs.

DRS Je pense que ça va s’impliquer avec une autre question, c’est qu’il y a le sujet de la mère quand même dans cette pièce. Et bon, on est dans un débat de psychanalyse, on ne va pas faire l’économie de ça. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur cette éruption de la mère dans ce texte?

CG Quand on écrit, bon par exemple, je ne parle pas d’un sujet, je ne parle même pas d’une idée. Là je suis partie d’une image réelle. Donc ce qui arrive, on le prend avec et on voit comment ça se relie. Et si ça se relie, si c’est une nécessité de relier, là je relie. Donc, la mère est arrivée et… oui, évidemment, ca a à voir l’expérience de l’humilitaion . Alors, ce que je peux dire, oui, ce que je peux dire, évidemment, c’est que… à partir d’une image comme ça, c’est pas possible de ne pas y aller. C’est pas possible, tout à l’heure vous parliez du courage de Marine.

DRS Et de l’autrice.

CG Oui mais pour moi c’est pas une histoire de courage. Encore une fois c’est une histoire, on me l’a souvent dit ça, mais c’est une histoire de nécessité. C’est-à-dire en fait, à un moment donné j’ai bien compris que cette image, en essayant des choses, je n’y arrivais pas, je n’allais pas écrire sur l’image. Je n’allais pas écrire en dehors de l’image. C’est impossible d’écrire avec une image pareille sans se mouiller, sans y aller, sans s’exposer. Sinon on reste dehors, on reste dehors ou on reste au-dessus, on est en surplomb. Et le surplomb c’est pas possible, enfin le surplomb ne permet pas, ne permet pas d’aller loin. Ce n’est pas un essai. Donc il y a un moment où j’ai bien compris, où j’ai bien senti, je ne sais pas ce qui précède, sans doute senti, avant de reprendre, que j’allais engager tout mon être et tout mon corps, c’était quand même une affaire de corps, mais écrire c’est une affaire de corps. Donc se sont superposées des expériences intimes et puis cette image qui m’était extérieure. Et du coup, on va dire que l’aventure fut d’écrire autour de l’innommable, mais aussi de l’inacceptable et de l’inadmissible. Et j’entends bien que ce texte puisse susciter des réactions de rejet parce qu’il y a un côté qui est effectivement inadmissible.

DRS C’est ça, en psychanalyse on dirait qu’on ne peut pas psychiser, on ne peut pas l’inscrire complètement. On ne peut pas en faire un début, un milieu et une fin. Y a plein de reste

CG Oui ca echappe. Enfin, moi je sais que j’ai des textes qui m’échappent, qui me dépassent, mais c’est toujours bon signe aussi parce qu’ils vous dépassent, parce qu’ils vous précèdent, ils vous entraînent, ils vous poussent à aller à un certain endroit. Donc, voilà. Donc la mère, à un moment donné, arrive, oui, évidemment, je sais pourquoi elle arrive. C’est dit dans le texte, il n’y a pas à se cacher de quoi que ce soit. Il y a un moment où on peut mettre des choses en rapport, on peut mettre des choses en rapport parce que c’est une histoire. Peut-être que l’humiliation est au centre de ce texte. Humiliation, c’est ça. Plus que le mal, : l’humiliation.

Jeremy moi je suis très admiratif du courage et de la radicalité de la représentation. En fait, moi j’ai été plus jeune dans l’armée qu’à la Légion étrangère. Et il y a quelque chose qui m’a manqué, c’est que le processus de l’armée où vous n’êtes plus qu’un outil. Et dans cette atmosphère de prison Abou Graib, le terroriste il est considéré comme un moustique. Moi on m’a fait faire des choses donc je suis pas très fier. Je les ais faite. mais on n’est même plus sexualisé, on est un tournevis. Donc il y a un peu ça  qui m’a manqué, que j’ai vécu moi dans ma chair. L’approche symbolique et psychanalytique elle est très intéressante, mais il y a cet aspect concret qui m’a manqué.

DRS Mais  il me semble que l’un n’empêche pas l’autre ;  il me semble qu’on parle pas de la même chose au fond. Parce qu’il y a le fait militaire, et d’ailleurs la pièce ne juge rien, et certainement pas le fait militaire. Et puis il y a la photo prise. Il y a quelqu’un qui a attrapé son appareil photo et qui a pris la photo de cette femme, qui a pris la pose pour l’envoyer par le wifi à sa famille. La pièce parle  de notre sidération devant la photo. C’est la photo qui fait la pièce.  Des militaires qui font des exactions sur le terrain ou qui font des choses qu ils trouvent ensuite hors contexte totalement immorales, c’est pas le sujet. Le sujet, c’est qu’elle prend la photo et elle l’envoie, et nous, on se retrouve avec la photo.

Jeremy Oui, mais la pièce parle beaucoup de la femme. Moi j’ai pas senti que la pièce était plus sur la femme, sur son cheminement symbolique, que sur le fait d’avoir pris la photo, cet acte impudique.

CG Alors, d’abord merci pour votre témoignage, parce que,ce que vous dites, moi j’y connais rien. Donc il y a des choses, quand on les connait pas, on ne peut pas en parler. À cet endroit-là, on ne peut pas tricher. Ca m’intéresserait beaucoup, mais ce serait de toute façon un autre texte, parce que ce n’est pas là-dessus que j’écris. Je n’ai pas non plus écrit sur le conflit.

J’ai voulu écrire un article au départ, et puis je me suis rendu compte que la photo, c’est pas ça qu’elle racontait. D’accord? Donc le côté politique, effectivement, il a glissé. Il est là. Alors, il manque un morceau, il manque un petit passage dans le texte qui parle des images, et en quoi les images ne nous servent même plus à être des preuves de quoi que ce soit. Et il y a tout un petit laius sur la torture, la nudité, sur la tragédie, etc. Mais de toute façon, vous n’y auriez  pas trouver votre compte parce qu’effectivement, je suis partie de cette chose qui est faite par une humaine, qui se trouve être une soldat, mais qui est une humaine aussi et qui tout d’un coup se prend en photo et se fait prendre en photo et toute une et elle les poste. Et ça c’est quand même quelque chose qui n’obéit ni au conflit militaire, ni à ce que vous évoqué.

Jeremy Quand je vois cette photo, moi je vois ni un homme ni une femme, je vois quelqu’un qui obéit.

CG Oui, mais la photo elle obéit à rien.

Jeremy Non, moi je vois quelqu’un qui obéit parce que l’humiliation c’est un des meilleurs moyens pour que la personne parle.Parce que atteindre à l’intégrité ça fait parler très très vite. . C’est pas du tout quelque chose du cote du voyeurisme. C’est autre chose et la photo elle-même peut constituer un acte d’humiliation.

CG il y a une jouissance de la personne à être prise en photo. C’est ça qui nous intéresse. c’est pas très fréquent de voir ça, de voir des femmes soldates dans la position de celles qui tient en l’aise, de celles qui torturent, de celles qui ont des vies, alors que la plupart du temps ce sont des hommes qui ont le droit de faire ça, et pas une femme. Et que en tant que femme j’ai réagit en tant que femme.

Magali Tayeb-Cohen J’ai trouvé ça extrêmement intéressant justement de mettre en lien ce sadisme, la jouissance liée à ce sadisme et la relation à la mère, en l’occurrence la relation pré-oeiypienne  dans le jargon psychanalytique à la mère. Qu’est-ce qui fait que vous appelez la prison de papa?

CG Ah oui, c’est Abu Graib, ça veut dire papa Graib.

AC Abu, ça veut dire papa en arabe.

MTC Justement, on a l’impression que c’est une fille qui est tellement au prise avec le lien de pre oedipienne à la mère qu’elle n’accède absolument pas à l’Oedipe. C’est pour ça qu’il y avait eu tendance cette relation. D’ailleurs, il n’y a pas de père dans cette pièce.

DRS  Pour les psychanalystes, c’est quand même sympa qu’on fasse une pièce sur la mère morte et pas sur le père mort. Parce que des textes sur le père mort, on en a bouffé des conserves.

MTC Et on a aussi une autre question par rapport au fait que justement, je regardai dans votre texte ;  tout le texte des je pense est sans punctuation, sans blanc, c’est tout un pavé comme ça, juste d’une seule traite.

CG Disons que le tissage des choses est tellement… Je tisse en..J’ai écrit, je pense, le souvenir de voir écrire cette partie avant la première. C’est ça? j’ai dû commencer par la première, écrire tous les « Je pense » et revenir. Je pense que c’est comme ça qu’il s’est passé. Les « Je pense », à un moment donné, c’est une chose qui est en train d’avoir lieu, un mouvement, c’est une espèce de présent qui ne cesse d’avancer.  L’absence de ponctuation fait aussi que il y a une sorte de découverte au fur et à mesure de la réflexion qui se fait à ce moment-là et qui met en association des éléments très hétérogénes. Et là, il ne doit pas y avoir ponctuation, on ne prend pas le temps d’un point ou d’une virgule, c’est pas possible. C’est une chose qui est comme ça, qui peut se respirer effectivement différemment selon les actrices. Donc cette espèce de bloc qui ne cesse d’avancer et qui se retourne tout le temps sur lui-même, qui est comme contradiction aussi, parce que comme elle dit : je n’accepte pas, je l’accepte, ces espèces de contradictions qui sont en même temps des propositions et qui surtout qui se marchent les unes sur les autres, et qui, cette espèce d’accumulation qui fait qu’en même temps ça avance, évidemment on se travaille pour que ça avance, mais… Donc effectivement la seconde partie est écrite très différemment de la première, qui est beaucoup plus aérée, avec plus de retour à la ligne, mais à partir du moment où la pensée se met en branle, voilà, le branle de la pensée qui frôle avec l’apnée en permanence quand même, il n’y a plus de possibilité ni d’aller à la ligne, ni de laisser d’espace, il n’y a plus d’espace quoi. Et pourtant, on voit que quelque chose se défait de la fascination. Alors que dans la première partie, la fascination est beaucoup plus…

Claude Eisenberg Moi je voudrais vous remercier parce que c’est une chose que je disais que les psychanalystes sont très jaloux des artistes. Les artistes ont droit au but et que nous on fait des… Et ce texte en fait, il vient rencontrer en fait leur positionnement quasi-médial dernier sur la philosophie, qui est le passage par l’identité d’image, pour dépasser la question d’image, la question du miroir, le passage par Descartes. Et c’est incroyable, on dirait une mise en existence de cette pensée qui serait très théorique de dire qu’à un moment, pour dépasser tout ça, donc on est obligé de repasser par le cogito, ce qui est à notre époque pas très très bien vu en fait, mais c’est un peu le régime qui veut l’apprendre de toute façon, il doit repasser par le cogito, mais ça lui coûte beaucoup, parce qu’il n’aime pas du tout ça en fait. Donc moi j’étais un peu là-dedans, mais d’un point de vue theroqrique, c’est-à-dire qu’en fait on a l’impression, c’est la méditation cartélienne, je veux dire on est du côté de la méditation, et alors on a l’impression que ça a évolué tout seul. C’est-à-dire que ça a été à parade devant l’angoisse, vous avez dû développer une méditation cartésienne. C’est impressionnant. Disons que…

CG Merci! Si vous voulez, je pense qu’à un moment donné, enfin, regardez dans le prétexte de ce texte aussi, puisque j’y expose beaucoup de moi-même, il y avait aussi une nécessité de penser la chose. Parce que si on ne pense pas à un moment donné le mal, on en est la victime. Donc pour moi, il y a par exemple un texte extrêmement important que j’ai lu des années avant et je reprends une phrase de Robert Antelme qui à un moment donné face à un officier SS je ne veux pas que tu sois, et il déplie ce qui m’avait marqué, que j’avais lu des années auparavant, cette formule, il déplie cette affirmation qui repart tout seul en disant ça c’est impossible. Et puis d’autre côté il y a Arendt, parce que j’ai quand même lu Arendt. Donc…

CE Ca viendriat contredire l’ hypthésee que il y aurait le trou d’histoire qui aurait une rupture de l’histoire, qui aurait quelque chose de total,  un trou béant et qui ne se regarde pas. Notre époque doit constamment, c’est le fameux point godwin, doit constamment faire faire l’histoire. Moi je trouve ça formidable parce que si on arrive à trouver quelque chose dans les méditations de Descartes. Descartes lui, c’est quand même quelqu’un qui arrive dans une époque de l’histoire où il fait semblant de croire en Dieu. Il fait vraiment semblant. Il fait ça pour son monde à lui, parce que quand on est vendu à son époque, on est comme ce qu’il était. Donc il fait comme si. Mais en vérité, il se détache de ça et il accepte l’idée que le mal est bien suffisant et qu’il faut faire avec. Et pas croire que tout d’un coup, si le mal est là, on est dans un trou d’histoire et de maternité. Et c’est très salutaire de revenir à Descartes. C’est pas encore… vous êtes très en avance, c’est ça que je veux dire.

DRS Claude, oui, surtout… Je  vois ce que tu veux dire. C’est que la prétention des analystes, de réparer l’histoire. On n’y arrive pas. Et les auteurs, eux ils y arrivent…

CE Oui, parce qu’ils montrent le chemin. Oui, il faut les suivre. Descartes, je ne me lierai pas, c’est celui qui parle du principe d’utiliser des petites lettres, pour introduire les mathématiques dans la réalité. C’est notre époque moderne, et c’est formidable, parce que c’est très réparateur. Il faut s’accrocher à ça, pour pouvoir sortir du trou dans lequel on est actuellement. C’est vraiment assez magique comment vous êtes venus à Descartes. Parce que c’est ça, le cogito, c’est autre chose, et ça vous rend la peine.

Jeremy  Pour Descartes, même Husserl, dans les médications métaphysiques, il remet en cause vos détours. Bien sûr. Donc, pour remettre Descartes aujourd’hui, des cartes ont déjà été dépassées.

CE Non, justement, il va falloir faire un échappement. C’est compliqué, il va falloir faire une rétroversion. C’est très difficile à faire, je suis d’accord. Il y a des raisons.

AC Je ne crois pas que ce soit un je pensemais un je crois. Non, mais le cogito c’est pas je crois, c’est le je pense et le je n’y crois.

MG Lorsque je joue. Parfois je pense, je me suis. Il est parfois un je pense, c’est… Moi je pense ça. Il y a un je crois. Mais vous, vous êtes libre de penser ce que vous voulez. Et il est un truc… C’est circulaire

CG Ce que je peux vous dire, c’est que l’écriture, c’est aussi de la pensée. Et qu’à un moment donné, effectivement il y a des choses qui peuvent être interprétées. Mais en tout cas le processus de cette partie du texte, c’est de la pensée qui avance. Dans l’écriture c’est la pensée.

DRS Oui tu vois, ça peut être conclusif, mais ça peut ne pas être conclusif.

Francine Caraman Je voulais dire que nous se trouve que c’est un très très beau texte sur l’amour, l’homosexualité, l’énamoration féminine. L’homosexualité féminine au sens où nous sommes tous homosexuels. Et que cette scène est très libidinalisée quoi. C’est la laisse de l’amour fou et de l’amour et l’interprétation de Marine est d’une sensualité beaucoup plus forte que celle que j’avais vue avec Cécile Brune à la colline. C’est ça qui est fascinant cette ingénuité enfantine mêlée d’une sensualité sur la peau que toutes les femmes ont sans doute ressenti envers leur mère et envers l’attirance qui regarde les femmes comme les hommes regardent les femmes. Et cet amour comme ça qui peut se retourner en une cruauté, enfin l’amour fou, c’est la cruauté, c’est le meurtre, c’est… Votre mise en scène et votre interprétation me l’ont fait vraiment saisir. Et sur les je pense que,  ça m’a fait penser à ce que pouvait faire Duras mais elle le fait avec les homosexualités masculines c’est à dire les hommes sont, les femmes sont. Et on se dit : bon ce sont des généralités ; tous les hommes sont homosexuels, tous les femmes,  mais c’est comme quand on essaye de tirer une théorie de quelque chose de très subjectif et d’intime,  effectivement les femmes aiment les femmes comme ça, pré-oedipiens ou oedipiens, il y a un reste de ça pré-oedipiens ou pas, je veux dire il y a toujours ce reste là, la façon dont une femme regarde une femme et le risque de la laisse. Enfin voilà ce que je voulais dire, j’ai trouvé ça très très beau votre version.

 

DRS D’ailleurs je rajoute, je vais faire un aveu, c’est que la phrase « une femme ne peut être une femme qu’avec une femme » je l’avais certainement entendue dans la bouche de Cécile Brune sans l’entendre vraiment et là, à chaque fois, deux fois, ça m’a fait un effet, sacré effet : je l’ai pris comme un coup quoi. Mais ce que je veux dire, je profite de cet aveu pour dire que effectivement l’interprétation de Marine ajoute quelque chose au texte et que Freud est autant percuté que moi avec cette phrase !

 

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