Contributions·La prostitution avec Grisélidis Réal

Concurrence déloyale*

La psychanalyse tient souvent une promesse non dite, une promesse tenue malgré elle et de surcroît, permettre au sujet de vivre sa vie, la sienne et aucune autre. Et ce que Coraly Zahonero nous restitue ici c’est ce destin : Grisélidis Real a vécu la vie de Grisélidis Real, et non d’une autre.

Au fond son besoin de témoigner (dans un empilement de dettes, d’elle jusqu’à nous, public) son besoin d’écrire sa vie, est grosse de sa découverte. Griselidis a eu accès à quelque chose du réel et nous le livre. L’artiste connait un refoulement mou, écrivait Freud.

Mais ce qui m’a le plus questionné après avoir vu cette pièce, c’est pourquoi  une proposition de loi d’abolition de la prostitution. D’abord parce que l’abolition sonne comme une décision morale, philosophique comme quelque chose d’utopique de religieux de presque suspect. Mais surtout ce qui m’a interrogé c’est pourquoi elle émane non pas des forces conservatrices et réactionnaires du politique, mais au contraire, bien au contraire, de la partie la plus progressiste, de cette partie de la gauche qui a milité pour et légiféré le mariage pour tous.

La proposition de loi d’abolition est portée à l’assemblée par Najat Vallaud-Belkacem qu’on ne pourrait taxer, à première lecture de réactionnaire. J’ai lu le discours de Najat Vallaud-Ben Kacem. J’ai bien repéré que la désacralisation du sexe, donc de la scène primitive pouvait heurter et s’opposer à une résistance farouche, sauf que pourquoi la gauche, et pas la droite et les églises ?

Ma chance est d’être sur Facebook et ma chance est d’avoir une amie prof de philo à Strasbourg qui a posté cette phrase :

Le féminisme c’est l’opération par laquelle la femme veut ressembler à l’homme, revendiquant la vérité, la science, l’objectivité c’est-à-dire avec une toute illusion virile, l’effet de castration qui s’y rattache. Le féminisme c’est la castration aussi de la femme.  Derrida (texte légèrement modifié)

Ce que dit Derrida là c’est du Freud et du Lacan, il n’y pas deux sexes, mais deux positions par rapport à un seul sexe, par rapport à un seul opérateur, le phallus. La fille n’a pas le phallus pour Freud, c’est d’ailleurs au titre de ce manque qu’il opère.  La vraie nature du phallus se révèle dans ce manque du pénis chez la femme,  ce manque chez la mère de la petite fille. C’est d’ailleurs cela qui rentre en jeu dans la maternité.

La femme n’existe pas écrivait Lacan

Grace à cette phrase de Derrida, je m en sors avec le féminisme abolitionniste.  Car derrière la castration s’entrevoit la loi du père et la loi du père de l’origine, le père mort.

A l’oreille on l’entend dans le discours de Nvb, son discours commence par le mot « avant » :

Avant qu’un client puisse acheter une prestation sexuelle, quelque part etc.  Etc.

Y a quoi avant ? Le père mort du refoulement originaire !?

Puis le discours continue :

 …  des femmes qui sont vendues achetées échangées séquestrées violées torturées trompées rackettes spoliées soumis au pire chantage….

Apres la convocation du père de la loi, vient le discours de la victime et du bourreau, ce fondamental psychique.

Le féminisme se révèle être au moins pour cela extrêmement cohérent lorsqu’il veut l’abolition de la prostitution, car la prostitution attaque l’ordre des choses, celui qui consiste à faire, au titre de la loi du père, du corps de la femme, la monnaie d’échange de l’économie sexuelle et donc sociale.

Le discours féministe parce qu’il  valide et épouse  le primat du phallus confirme comment le monde tourne.

En moins jargonneux et à gros traits, la  société asservit le corps de la femme et les hommes en profitent. La féministe l’accepte mais  lutte pour l’amender. Au fond une féministe est  une militante syndicale dans la multinationale du sexuel, où les hommes se marient aux femmes pour 1-le sexe 2-les enfants qu’elles portent en leur nom.

La militante féministe veut et on lui donne raison, une plus grosse part du gâteau. Mais c’est toujours le même gâteau.

Avec la prostitution, c’est autre chose c’est comme si devant l’immeuble de cette multinationale, une femme, Grisélidis, installait sa petit échoppe et vendait de la contrefaçon (de la jouissance sans le pacte phallique, du corps et rien d’autre)  et même si  ça y ressemble terriblement, c’en est pas.

Au fond peut être que les abolitionnistes détestent cette concurrence déloyale.

Elles ont lutté pour modifier le système (cad le système qui pose le primat du phallus) à leur avantage.

Elles ont lutté pour la contraception ou  l’ivg, pour une maternité mieux décidée par la femme.

Les abolitionnistes ont repéré chez les prostituées soit seulement une concurrence déloyale soit cette contrefaçon,  un autre féminin, un féminin terrifiant  car c’est un féminin où  le phallus ne serait pas tout.

 

*Intervention de David Rofé-Sarfati  dans le cadre de la rencontre – débat d’après Grisélidis, 31 mai 2014.

 

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