Que m’a apporté l’écriture blanche ?
Elle m’a permis de revisiter un événement traumatique dans ses faits.
En éliminant volontairement l’expression de l’affect, du ressenti, j’ai compris que je pouvais transmettre avec plus de force. Comme laisser la place au lecteur d’éprouver , de vivre en direct les faits et de le faire partager l’expérience de l’instant du trauma. C’est comme si le lecteur se trouve au même moment , au même endroit. Il est impliqué malgré lui . L’utilisation du présent et du passé-composé imperfectif contribuent à cet effet: le procès est réalisé dès qu’il est entamé et il peut être interrompu à tout moment, on ne peut pas anticiper, se préparer, tout se passe dans l’instant. On ne peut pas se projeter dans un futur, lʼinstant traumatique engloutit toute lʼénergie, la seule lueur se focalise sur lʼessentiel: rester en vie. Les fonctions vitales dominent. Cela sʼimpose. Le verbe blanchi c’est la réduction du discours à sa plus simple expression, c’est aussi ce qui de la mort demeure et continue de parler.
En éliminant ainsi l’aspect émotionnel, l’événement apparaît dans sa réalité: froid, choquant, la mort n’est pas loin, les sons se détachent dans le silence du reste,tels un bruit de couperet tranchant, sec. On est seul sur scène. On est réduit à soi. Il nʼy a plus de passé, il nʼy a plus dʼavenir. La prosodie est parfaitement monocorde, les syllabes s’enchaînent, les mots s’égrainent implacables, tout se déroule dès lors que le mot est dit et l’action peut s’interrompre à tout moment sans que l’on puisse anticiper, sans pouvoir se préparer, sans pouvoir se protéger. Aucune échappatoire n’est envisageable, tels les battements de la trotteuse qui ne reviennent jamais en arrière. Le rouleau compresseur qui rend l’Être impuissant, une sorte d’évidence dont l’issue semble fatale. Cette écriture mate, dénuée de toute émotion, de tout pathos, faite de phrases brèves, qui évoquent sans en avoir l’air, l’essoufflement, dans un langage très précis comme une photo dont la mise au point serait parfaite, ici pas de place au flou, à l’à peu près .. , cette écriture permet de dire ces choses qui nous traversent l’esprit dans l’instant du trauma et qui sembleraient incongrues dans un récit habituel. J’ai vécu cette agression je pensais à mon pantalon de tailleur tâché par mon propre sang mais c’était “du” sang qui tachait mon pantalon. J’ai regardé la copine médecin que j’avais appelé et je voyais son regard affolé et je me préoccupait d’elle “qu’est-ce qui était si grave ?”
Il vient de se passer quelque chose de si soudain qu’on n’y croit pas “ça va passer, les autres ont l’air de croire que c’est grave, mais ce n’est pas possible, “ la tête refuse d’accepter qu’on ne peut pas faire marche arrière. L’écriture blanche s’écrit à l’encre indélébile, elle se fait en dehors de l’auteur, elle prend le dessus comme Meursault qui dit. “Cependant, je lui ai expliqué que j’avais une nature telle que mes besoins physiques dérangeaient souvent mes sentiments” Prédominance du ressenti physique sur l’émotion.
Nadine Schulmann.
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