Frédéric Bélier-Garcia a eu l’intuition de mettre en parallèle la pièce de Vitipaev Les Guêpes de l’été nous piquent encore en novembre et celle de Labiche L’affaire de la rue de Lourcine. Le diptyque est un désopilant moment de bonheur.
Cela semble étrange de former un spectacle à partir de deux comédies écrites à plus d’un siècle d’écart. La confrontation ainsi imaginée tient lieu de criterium. Mais des deux génies, il reste malaisé de départager les textes. Lorsque Labiche sourit du comique de situation, Vitipaev rit de la réthorique. L’un comme l’autre s’amuse à poser devant nous la question de la suspicion, celle qui taraude les couples depuis des siècles et qui tricote des quiproquos et des malentendus hilarants.
Dans les guêpes, un mari se confronte à une inquiétude qui devient énigme puis secret puis aveu puis déconvenue pour finir anecdote. Parce qu’il veut savoir où son frère Marcus a passé son lundi après midi, il sera emporté par le souffle concentrique des demi vérités et des faux aveux. Le tourbillon le rendra fou avant qu’à la fin de la journée chacun se fichera totalement de l’emploi du temps de Marcus. C’est jubilatoire. La rhétorique circulaire de Vitipaev brille à précipiter les personnages au bord du vide.
Dans L’affaire de la rue de Lourcine, un mari se réveille après une nuit de beuverie entre amis dont il ne garde aucun souvenir. Il découvre un ami ronflant et pétant dans son lit et les deux lascars apprennent dans le journal qu’ils auraient assassiné une femme. Or c’est jour de baptême et l’épouse tient à tout organiser dans les règles.
Les deux histoires se répondent dans un évidence. Vitipaev nous effraie par le vide, Labiche par le chaos. Les deux génies du vaudeville transforment nos peurs en rires. A chaque fois le texte suffirait mais les comédiens sont admirables à ajouter ce plus impossible à décrire sauf à en entendre les signes dans les rires nombreux et les applaudissements enthousiastes. Camille Chamoux est épatante dans deux emplois en miroir, successivement prétendument passive puis faussement active. Jean-Charles Clichet utilise avec brio toute sa force comique tandis que Stéphane Roger crée une partition clownesque inoubliable. Sébastien Eveno, dans le Labiche fabrique un médiocre magnifique. On ira voir la pièce d’abord pour les comédiens. La scénographie intemporelle de Frédéric Bélier-Garcia finit de construire notre plaisir de spectateur; on retrouve cette patte où l’horizontalité colonise un plateau qui semble attendre des cintres que viennent une explication, ou au moins une chute.
La pièce constitue un moment de bonheur dans une évasion comique.
Avec Camille Chamoux, Jean-Charles Clichet, Sébastien Eveno, Stéphane Roger
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Théâtre de la Tempête, Salle Serreau • Durée : 1h45
Crédit Photos©Pascal Victor