Le redoutable « Pain dur » de Paul Claudel par Salomé Broussky aux Déchargeurs

Celle qui montait en 2017 déjà aux déchargeurs, La Révolte de Villiers de L’isle-Adam, nous revient avec une pièce étonnement complexe et rude : Le pain dur de Paul Claudel. Encore une fois le moment est puissant. 

Il en est du théâtre de la cruauté selon Antonin Arthaud comme du théâtre populaire ; il est souvent évoqué, rarement vu. L’acteur qui brûle les planches, la dimension sacrée et métaphysique, le primat du metteur en scène sur l’auteur de sorte que le texte atteigne son public quelqu’il soit : voila ce que nous propose Salomé Broussky avec une scénographie et une direction d’acteurs subtilement décalées. Et un engagement total des comédiens. 

Un polar métaphysique

Claudel a composé Le Pain dur de 1913 à 1915, alors qu’il était consul de France à Hamburg, puis, après la déclaration de guerre, installé à Bordeaux avec le Ministère. La pièce a été publiée en 1918 aux éditions de la NRF. Le Pain dur est la suite de L’Otage, vingt ans après, sous le règne de Louis-Philippe. Le pain dur est selon Salomé Broussky un polar métaphysique, le récit d’un crime parfait, un parricide comme un sacrifice humain fait au dieu Argent, le tout devant un crucifix jeté à terre, déjà déchu. Talentueuse elle ajoute une beauté de scénographie qui fait spectacle et finit à envouter le public. 

L’histoire est celle de nantis. Comblé d’honneurs, le vieux Turelure vit avec Sichel, une Juive qu’il tyrannise. Son fils Louis, officier lors de la conquête de l’Algérie devenu colon, a contracté des dettes, à la fois financières et affectives, envers une jeune polonaise, Lumîr qui tient à récupérer son argent pour contribuer à la libération de sa patrie asservie par les puissances étrangères. L’histoire s’ordonne autour d’un magot que Turelure détient sur lui et que Louis autant que  Lumîr et Sichel convoitent.   

Une gigantesque et contributive métaphore de notre époque

L’intrigue est située à la fin de l’Empire français. Cependant, l’esprit et la critique en sont ceux de l’époque de Claudel. On retrouve l’avénement d’un capitalisme pur et dur, d’un colonialisme cruel. On retrouve aussi, écho à notre époque, la montée des nationalismes et un antisémitisme, ni chrétien (Dans les années vingt, Claudel est philosémite et sioniste Probablement parce que je suis profondément religieux) ni d’extreme droite mais de tradition de gauche. Elle est terrible et édifiante la création de ce personnage de père Juif d’Épinal, marchand du temple, colonialiste et capitaliste. On se souvient que lors de son voyage en Algérie,  Jaurès décrit les juifs qui, par l’usure, l’infatigable activité commerciale et l’abus de l’influence politique, accaparent peu à peu la fortune, le commerce, les emplois publics.

La pièce devient une gigantesque et contributive métaphore de notre époque. Où chaque personnage contient en lui l’abomination du monde.  Hors la jeune Polonaise qui saura protéger la chrétienté et son pays. Chaque comédien est captivant. Marilou Aussiloux, Daniel Martin, Sarah Jane Sauvregrain et Etienne Galharague sont formidables de puissance dramatique. Ils nous emmènent très loin. Aidés par  une mise en scène rigoureuse et par des costumes à l’esthétique de cartes à jouer, chacun envoute et impressionne. Nous suivons en apnée cette intrigue noire qui  agit sur nous comme un purgatoire merveilleux mais rédempteur. Les applaudissements nourris célèbrent les comédiens, et éloignent les monstres de Claudel.

Redoutable ! 

Le Pain dur, de Paul Claudel, mise en scène, décor et costumes : Salomé Broussky, avec Marilou Aussilloux, Daniel Martin, Sarah Jane Sauvegrain, Fabian Wolfrom, du mercredi 2 au samedi 26 février 2022, Théâtre les Déchargeurs, 3 Rue des Déchargeurs, 75001 Paris, du mercredi au samedi à 21 heures

Crédit Photo (c) Christophe Raynaud de Lage

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