LE PETIT CHAPERON ROUGE : De la peur à la terreur ; de l’imaginaire au réel

Une version du conte sobre et efficace dans ce texte minimaliste de Joël Pommerat « sans pratiquement aucune digression », comme dans sa mise en scène épurée, sans surprise, sans suspense…Qui ne connaît ce conte, cette histoire en effet ? Le texte va à l’essentiel et est servi ici par une interprétation forte et virtuose des deux comédiennes, vives et convaincantes. Une pièce que l’on peut lire d’un point de vue féministe : les femmes, de la plus jeune à la plus vieille,  sont menacées du pire par le premier homme au coin de la rue, ce qui se vérifie, hélas, dans les faits divers quotidiens… 

Ce qui frappe en effet dans ce récit c’est la carence de contexte, de société, et l’éclipse assourdissante de l’homme, du partenaire amoureux ou  du père protecteur…Ca ne « fait pas famille ! » Manque une colonne vertébrale physique ou symbolique…Jusqu’à l’arrivée tardive mais salvatrice du chasseur, le justicier, le libérateur…. 

« La  petite fille, la maman, et la maman de la maman », soit trois générations de femmes dont aucune ne porte de nom,  semblent être seules au monde, représentantes paradigmatiques de la classe des femmes, encastrées (tiens !!) l’une dans l’autre comme des poupées gigognes.  Comment comprendre qu’ici,  la génération des mères échappe au danger ? S’agit-il d’annihiler le passé et sa mémoire,  d’anéantir le futur, porteur d’espoir ? Ne resteraient que le présent et son malheur…

Pourquoi l’histoire que raconte le « Petit chaperon rouge » continue-t-elle à « fasciner » comme dit l’auteur de cette version, pourquoi nous paraît-elle si actuelle encore aujourd’hui, davantage peut-être que d’autres Contes de fées ou… (Ou de démons) de Grimm et de Perrault ?

Comment ne pas voir et entendre en ce 25 novembre 2023 combien ce spectacle  peut faire incroyablement écho aux massacres du 7 octobre dernier, commis par les terroristes du Hamas aux abords de Gaza, dans le Sud d’Israël ! Il y a des « bêtes » dans la forêt, prévient la mère, elle ne dit pas des animaux car il s’agit de bestialité, dans le conte comme dans la réalité vécue.  L’insouciance de la jeunesse qui danse, avec les ombres tapies dans l’obscurité de la nuit,  sans pressentir la menace, pourtant proche mais impensable…non pas dans la forêt mais au milieu du désert…(Ici , le loup est un chacal), la vulnérabilité incrédule des anciens -et des anciennes surtout- d’un côté, et, de l’autre, la fourberie du loup qui attend son heure, le féroce prédateur,  sa cruauté et sa rage devant la porte fermée qu’il s’acharne à forcer, pour envahir l’espace, les maisons, poursuivre, violer et tuer leurs victimes jusque dans leurs lits, comme dans le conte, brûler, tout dévaster sur son passage et d’abord anéantir les familles …

Peut-être Le Petit Chaperon Rouge n’a-t-elle pas été assez avertie ? Peut-être n’a-t-elle pas eu assez peur du loup ? L’angoisse opère comme signal, elle précède l’évènement redouté. La petite fille se promenait en jouant…Sans y croire…

Et sans aucun doute les victimes du Hamas n’auraient-elles jamais pu anticiper ni même concevoir dans leurs pires cauchemars ce déchaînement de haine dont elles  ont été les proies et cette furie dans la violence jouissive et destructrice ?

LE PETIT CHAPERON ROUGE

Texte de Joël POMMERAT

Mise en scène et interprétation : Nina  CRUVEILLER  et Nina BALLESTER

Théâtre de la Huchette, 25 novembre 2023

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